Sonntag, 7. Februar 2021

Lettre d'un enseignant allemand vivant en France concernant l'article 21 (liberté d'instruction)

 

Chères députées, chers députés,

Je m’appelle Michael Broermann-Beckert. Je suis allemand, je suis enseignant passionné à Angers et je suis le père de trois enfants actuellement scolarisé à l’école publique. J’aimerais vous expliquer pourquoi je défends de toute mon âme la liberté de choisir le mode d’instruction pour nos enfants.

J’ai grandi dans la République Démocratique Allemande, un pays qui était loin d’être aussi démocratique que son nom le revendiquait. J’avais 10 ans quand le mur de Berlin et le rideau de fer sont tombés pour nous en 1989. J’étais jeune, certes, mais je me souviens très bien du travail politique que l’état mettait en œuvre dans les écoles : un discours propageant le socialisme et l’idéologie soviétique dès le Kindergarten, communiqué par tous les média de l’époque et imposé par des structures de partis et d’organisations ressemblant beaucoup à ceux du 3e Reich. Moi-même par exemple, j’étais « président du conseil de classe des pionniers socialistes » à l’âge de 7 ans, puis « rédacteur du journal mural » ou encore « agitateur » plus tard.

Peut-être que cela vous paraît déplacé de parler de l’école de ces anciennes dictatures allemandes dans le contexte de voter sur l’article 21 de la loi visant à « renforcer les valeurs républicaines ». Et pourtant, dans le discours en faveur de cet article, on fait aussi référence à l’Allemagne, ce pays qui sert souvent d’exemple quand cela arrange, surtout en matières de pédagogie et d’éducation. A cette Allemagne où l’école est obligatoire. Cette Allemagne où l’institution de l’état a enlevé de force la mission de l’instruction (et inévitablement une partie de l’éducation) des parents, de la famille.

Je ne sais pas si vous en aviez conscience au départ mais dans le doute, je préfère vous le redire : La législation actuelle concernant l’obligation scolaire en Allemagne date de 1938 et a été mise en place par le parti national-socialiste d’Adolf Hitler pour des raisons que nous pouvons facilement concevoir : se porter garant que tous les allemands seraient mis dans le bon chemin dès le plus jeune âge.

Personnellement, j’ai honte de cette tache national-socialiste qui persiste dans notre culture politique allemande et qui est amplement contestée par mes compatriotes pédagogues, psychologues, philosophes et neuroscientifiques. Alors qu’en Allemagne, on cherche et on trouve des solutions pour enfin rendre la liberté d’apprendre à l’enfant à sa façon, on s’acharne en France de revenir 80 ans en arrière.

L’Éducation Nationale va mal. Je le sais car j’en faisais partie. Tous ceux qui en font partie le savent. J’ai passé le CAPES d’anglais en France et j’ai fait mon Master d’enseignement à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation à Angers à l’âge de 35 ans. Je dois avouer que je n’attendais pas beaucoup de ces 2 années de formation française, ayant étudié passionnément et longuement la pédagogie, la psychologie, la sociologie et la didactique en Allemagne, aussi bien en théorie qu’en pratique. Mais je suis content de pouvoir vous dire que j’étais vraiment positivement surpris par l’esprit qui règne dans les centres de formation de professeurs en France et par le travail qui est fait par les formateurs et les formatrices. Ils sont à la pointe des recherches pédagogiques et neuro-scientifiques et savent donc très bien comment on devrait réformer l’école pour l’améliorer. Et la plupart des professeurs dans les écoles le savent également.

Des réformes avec de bonnes intentions sont mises en marche, c’est louable. Mais, malgré toutes les bonnes intentions, on ne fera pas de merveilles avec 30 élèves entre quatre murs. Arrêtez de vous faire des illusions ! Il y a des professeurs qui sont des héros. Mais il ne sont pas des magiciens.

Mais malgré tout : Merci à la République et à l’institution de l’Éducation Nationale de nous offrir ce service d’instruire nos enfants gratuitement. Cela devrait être un privilège de pouvoir en profiter. En revanche, en le rendant obligatoire, le privilège perd sa qualité constitutionnelle et devient une contrainte.

Imaginez-vous que l’on vous offre votre plat préféré, gratuitement, servi avec amour et bienveillance. Quelle gratitude ! Mais alors, imaginez-vous maintenant que l’on vous impose de manger ce même plat, tous les jours, toute l’année, sans tenir compte de vos goûts et vos humeurs qui changent. Tôt ou tard, ce plat tant aimé auparavant finirait par vous dégoûter. Quel dommage pour ce plat si délicieux que représente l’instruction et dont l’enfant se délecte tant naturellement s’il est libre de s’y donner quand il le souhaite. En plus, tout le monde qui a été scolarisé soi-même, va l’avouer sans hésiter : Le plat que propose l’école publique ressemble plus à celui de sa cantine qu’à celui de grand-mère ou du restaurant étoilé. A défaut de réussir de l’améliorer suffisamment pour attirer plus de gourmands, on voudrait rendre obligatoire sa consommation pour ensuite pouvoir se venter de son succès...

Comme déjà évoqué : Nos enfants (8, 10 et 12 ans), leur mère et moi-même ont choisi à la rentrée 2020 qu’ils aillent à l’école cette année pour vivre l’expérience. Après 3 ans d’absence (apprentissage libre à la maison et dans le monde entier), ils en étaient enthousiastes et malgré des déceptions, ils sont capables d’assumer leur choix et d’apprécier les avantages que l’école peut leur offrir. Ce libre choix n’aurait malheureusement pas été possible si l’école avait déjà été obligatoire et donc, l’expérience actuellement vécue serait encore beaucoup moins gaie et légère.

Un dernier exemple : Quand notre aîné avait 3 ans, il était pour moi (en tant que pédagogue allemand convaincu et libertaire que j’étais) hors question que je lui impose ce cadre stricte, ambitieux et contraignant que représente pour moi une école maternelle française. Nous avons eu alors « la chance » d’avoir trouvé une école hors contrat de type Montessori qui venait d’ouvrir à l’époque. Nous étions ravis et enthousiastes. Mais alors, il se trouvait que l’expérience s’est très mal passée au niveau interpersonnel, au point que la direction de l’école nous a annoncé lors des premières vacances de l’année qu’ils ne seraient pas en capacité de continuer le travail avec notre enfant et qu’ils voudraient arrêter le contrat. En état de choque et de désespoir, nous ne voyions pas d’autres possibilités que de le scolariser dans l’école publique du quartier et je suis content de pouvoir vous assurer que nous étions extrêmement reconnaissants pour l’accueil et le cadre que nous ont offert la directrice et la professeure à ce moment là. Cette expérience m’a permis de prendre du recul par rapport à cette institution de l’Éducation Nationale et toutes les personnes qui y œuvrent quotidiennement dans l’objectif d’offrir le meilleur à nos enfants. Ils méritent notre respect et notre hommage.

Sans la liberté de prendre une autre route à ce moment-là, je n’aurais pas pu me rendre compte des inconvénients d’un choix alternatif et je n’aurais donc pas été en capacité d’apprécier les avantages et les mérites du système publique. On aurait fait de moi un opposant encore plus buté et qui sait à quoi m’aurait conduit la frustration de la contrainte intransigeante. Éventuellement à quitter ce beau pays tant aimé, je crois.

Soyez-en fiers de la France, avec ses valeurs républicaines Liberté – Égalité (et non pas « uniformité » !)– Fraternité (incluant nos chères sœurs !) ! Soyez-en fiers, de l’Éducation Nationale (malgré ses maintes défauts) ! Et soyez fiers de nos professeurs ! Ne les dégradez pas en nous les imposants. Ils valent plus que cela.