soutenu le 04 juillet 2016 en présence de la commission de soutenance composée de :
Anne Nicou, directeur de mémoire
John Webb, membre de la commission
Pour
la genèse de ce mémoire, je remercie tous les enseignants et
formateurs de ma scolarité entière, tous les
volontaires ayant répondu à mes questionnaires et en plus
particulier :Abu
al-Qasim Muhammad, Alix de Saint-Loup, Anne-Carole Broermann,
Anne Nicou, Bruno Foucal, Céline Pasquet, Christian
Karow, Christophe Doré, Daniel Pennac, Esther
Billaud, Florence Lusson, Frank Lohse, Frans Plank, Frau
Lautenbach, Fräulein Schleez, Frau Matthes, Frau Oehme, Friedemann
Schulz von Thun, Friedrich Beckert, Gabriela Beckert, Hartmuth
Burmeister, Henry David Thoreau, Herr Börsch, Herr Graumüller,
Huberturs Bialas, Ingeborg Hansen, Jean-Pierre
Drouar, Jesus von Nazareth, John Webb, Linda Collinge,
Linda Paul, Marc-Antnoine Richard, Marie-Paule Muller,
Michelle Ryan-Sautour, Muriel Hériau, Nicole
Bertrand, Norbert Neumann, Olivier Perrault, Renate
Klein, Samy Deluxe, Satya Narayan Goenka, Sayagyi U Ba Khin,
Siddhartha Gautama, Steffen Richter et Vincent Logeais.
„Humor
ist wenn man trotzdem lacht.“ (Otto Julius Bierbaum)
« L'humour,
c'est quand on rit quand même. »
Sommaire……………………………………………………….……...
|
4
|
||
Introduction………..………………………….….……………………
|
5
|
||
1 | Le cadre de la recherche….….…….………………...……………..... |
8
|
|
1.1. |
Gérer
une classe – une tâche…..………………………….………….
|
8
|
|
1.2 |
S'installer
dans le travail - un plaisir ?….…………………….…….
|
10
|
|
1.2.1
|
L'école
est un loisir (imposé)…...……...………………….....…..……..
|
10
|
|
1.2.2
|
A
rendre de mauvaise humeur ?…….…………………….....…..……..
|
12
|
|
2 | Le sujet de la recherche et les outils d'analyse……….……………... |
14
|
|
2.1 |
L'humour
en théorie…..……….……………….….………………….
|
14
|
|
2.1.1
|
Comment
le saisir………………...…………………….…..…………..
|
14
|
|
2.1.2
|
Comment
l'utiliser….….….………………………………..…………...
|
17
|
|
2.2 | Le carré de communication – un outil d'analyse...…..…………..…. |
19
|
|
2.2.1
|
Les
quatre côtés du message…....….....……..……...…..………………
|
20
|
|
2.2.2
|
La
part du récepteur………………………….…...….…………………
|
22
|
|
3 | L'humour sur le terrain…………....…..….…………….…………… |
25
|
|
3.1 | Les questionnaires……….………………...….…………….………… |
26
|
|
3.1.1
|
Le
questionnaire évaluatif – amusant ou pas……….……….………….
|
26
|
|
3.1.2
|
Le
questionnaire retour – stress ou détente……………….…...……….
|
30
|
|
3.2 |
Les
sketchs – une mise en abyme……………………………………..
|
31
|
|
3.2.1
|
Le
contenu factuel – compréhension difficile ?………………………...
|
32
|
|
3.2.2
|
La
révélation de soi – c'est moi, ou pas………………………………...
|
32
|
|
3.2.3
|
La
relation – c'est moi et toi…...……………………………………….
|
34
|
|
3.2.4
|
L'appel
– à toi de jouer……...………………………………………….
|
36
|
|
Conclusion……………………………………….……………………. |
38
|
||
Bibliographie…….……………………………….…………………… |
41
|
||
Annexes.....……….…………….……………………………………… |
46
|
||
4e de couverture….…………….……………………………………… |
53
|
Introduction
Quand
j'ai commencé mon premier poste dans un collège de campagne du
Maine-et-Loire en septembre 2014, je me considérais humaniste
ambitieux, prêt à m'investir sans retenue pour le bien des élèves.
L'humour était pour moi un outil essentiel pour créer un lien avec
les élèves et une bonne ambiance de travail sérieux. Quand je me
suis mis en arrêt en janvier 2015 pour "syndrome d'épuisement
professionnel" (burn-out), l'humour ne faisait plus beaucoup
partie de mon répertoire professionnel et la
bonne ambiance de travail sérieux n'aura été qu'un idéal
réalisable par des (super-) héroïnes et héros de l'enseignement.
Un an plus tard, après ma démission, mon interruption et ma reprise
des études, j'ai rencontré ma tutrice Florence, pour qui l'humour a
été une révélation merveilleuse (grâce à Claudine Martina)
après dix ans de pratique dans un collège ZEP /REP /RRS. Ce mémoire
présent-ci, réalisé par contrainte mais avec (un certain) plaisir,
fut l'occasion (rêvée) d'en savoir plus...
"Gérer
sa classe" représente quelque chose de profondément essentiel
dans l'activité de l'enseignement au collège. Gérer l'activité et
l'énergie, les sentiments et les ambitions, les capacités et les
compétences de chacun et de l'ensemble des élèves représente sans
doute la condition préalable à tout enseignement. Ne
pas réussir à "gérer sa classe"
peux résulter en un échec de
transmission de savoirs et de méthodes dans le meilleurs des cas et
peut aller jusqu'à engendrer, déclencher ou tout du moins aggraver
des états pathologiques comme la phobie scolaire chez l'élève et
le syndrome du burn-out chez l'enseignant. Un symptôme d'une
gestion mal réussie peut être la révolte clandestine sous le forme
de l'humour, comme par exemple :
« Tu
le fais exprès.
[…]
De
te moquer du monde ?
C'est
ça, hein, tu te moques du monde ? Tu nous provoques ? »
(Pennac 2007, p.199)
Questionnement
d'un enseignent envers un élève, dit « cancre » dans le
livre autobiographique Chagrin d'école de Daniel Pennac,
enseignant retraité et ancien cancre lui-même. Situation
emblématique à nous rendre conscients des enjeux de vie dans le
milieu scolaire, des enjeux d'une communication réussie en classe et
des enjeux d'un humour bien géré par l'enseignant. Car si l'élève
peut faire preuve d'humour plus ou moins intentionnellement,
l'enseignant est le premier à pouvoir l'exploiter à ses propres
fins. Cependant, la classe est censée être un lieu sérieux où la
réussite scolaire visée de chacun et chacune détermine aujourd'hui
plus que jamais la réussite sociale et donc la "réussite
vitale" de demain. Cette contradiction apparente, entre humour
et sérieux, détente et tension, anarchie et cadre, à la recherche
d'un idéal de sérénité, nous amène à la problématique
suivante, qui fera l'objet de la présente étude :
Comment
influencent les conditions institutionnelles, sous lesquelles nous
sommes amenés à gérer une classe, la motivation des élèves ?
Sous
quelles formes, l'humour apparaît-il dans ce contexte culturel
particulier ?
Comment
peut-on identifier les objectifs d'une utilisation de l'humour en
classe ?
Dans
quelle mesure l'humour peut-il être un outil éducatif ?
Nous
supposons que l'humour, en tant que particularité humaine soit
omniprésent en classe, même malgré une forte volonté éventuelle
de la part de l'enseignant gérant de l'éviter. Sans doute, l'humour
a une fonctionnalité primordiale dans la communication
inter-humaine, qu'il s'agit de reconnaître, de gérer et
éventuellement d'exploiter à des fins désirables. Cependant, la
dégénération et l'abus volontaire de l'humour, de l'ironie
cassante voire du
sarcasme représentent
des risques potentiels qui peuvent être aussi nuisibles qu'une
gestion trop rigide et austère.
Pour
identifier et analyser les conditions particulières de l'école
comme cadre de communication, nous nous appuierons principalement sur
des auteurs comme Auger, Blin, Mathieu et Pennac, qui se sont occupés
essentiellement de situations et de circonstances « difficiles »
en classe. Sur la base de la distinction entre, ponos et
scholé, établie chez
les grecques de l'antiquité, nous proposerons une réévaluation des
concepts contemporains de travail (productif) et loisir,
en
lien avec le « présent rigoureusement indicatif »
(Pennac, 2007, p. 70). Concernant l'humour
en général, nous nous baserons principalement sur les
idées
de Bergson, Freud et Jankélévitch. Le
mémoire de Deschard donne un aperçue très complet de la
théorie de l'humour et de
ses différentes formes.
Concernant
l'humour en classe, c'est surtout Lethierry qui nous fournit
une source riche de réflexions et
d'exemples. Enfin, pour analyser quelques
particularités de situations d'humour, nous nous servirons du carré
de communication de Schulz von Thun, une approche issue de la
psychologie humaniste.
Pour
vérifier la validité des nos hypothèses, nous examinerons un
recueil de données constitué de deux types de questionnaire. Le
premier, plutôt fermé, sera exploité d'une façon quantitative. Le
deuxième, plutôt ouvert, nous fournira des exemples de situation de
stress et de détente dont un sera traité d'une façon qualitative,
notamment par une analyse selon les critères du carré de
communication.
Lors
de notre recherche, nous procéderons donc selon le plan suivant :
1)
Définition du cadre de la recherche qui est celui de la classe et de
l'école.
2)
Définition du sujet de recherche et les outils d'analyse :
l'humour et ses différentes formes que l'on peut analyser à l'aide
du carré de communication
3)
L'exploitation du recueil de donné : L'analyse de deux types de
questionnaire d'élèves et l'étude approfondie d'une situation
humoristique complexe : des sketchs en classe représentant des
situations de classe
1.
Le cadre de la recherche
Pour
commencer, nous allons clarifier le cadre scientifique dans lequel
nous cherchons des réponses à nos questions. Dans un premier temps,
il s'agit d'expliciter des termes clés que nous utilisons selon nos
besoins, tout en insistant sur le fait qu'il ne s'agit pas de
définitions absolues mais adaptées et formulées en fonction de nos
expériences et de nos objectifs personnels. Nous nous pencherons
donc d'abord de plus près sur la notion de gérer une classe,
puis sur celle de la bonne humeur et de l'humour pour
ensuite présenter la méthode d'analyse du recueil de données à
l'aide du carré de communication de Schulz von Thun.
1.1
Gérer une classe – une tâche
Gérer
une classe est une tâche et une compétence à la fois
essentielle, complexe et vaste. Si l'on admet l'idée (controversée)
de la double casquette du professeur qui se divise entre celle de
l'enseignant et celle de l'éducateur/pédagogue, la gestion de la
classe relève sans doute plutôt du domaine de l'éducation mais
elle a tout aussi bien sa fonction en didactique. Pour en expliciter
les raison pourquoi nous nous concentrerons ici plus sur l'aspect
éducatif de la gestion d'une classe, nous commençons par voir
l'entrée de gérer dans un dictionnaire général :
Gérer
v. tr. <6> – 14456> ;
lat. gerere 1♦
Administrer1
(les intérêts, les affaires d'un autre). => gestion.
Gérer un commerce, un
domaine, une affaire.
[…] Gérer les biens
d'un mineur, d'un incapable, gérer une tutelle
(=> tuteur).
2♦
Administrer (ses propres affaires). => conduire,
diriger, gouverner, régir.
Gérer son avoir avec
économie. – Affaire bien, mal gérée.
[…] 3♦
Gérer un problème,
y faire face, s'en occuper. Situation
très difficile à gérer
[…] (Robert, 1994, p.
1015))
Les
trois notions que donne le Petit Robert de gérer (dans un
contexte général), sont d'intérêt pour notre étude :
1)
L'enseignant d'une classe (et d'autant plus le professeur principal)
gère/administre « les intérêts, les affaires d'un autre »,
plus précisément de plusieurs autres. Il est (momentanément)
responsable des intérêts profonds et essentiels de chacun et
chacune de ses élèves, qui sont des individus en voie d'acquisition
d'autonomie et qui sont eux et elle-mêmes2
souvent relativement inconscients des intérêts en question. C'est
justement dans l'accompagnement des élèves vers cette acquisition
d'autonomie et cette prise de conscience de leurs intérêts profonds
que l'enseignant assume son rôle d'éducateur, entre autres selon
les textes officiels de l’Éducation nationale.
2)
L'enseignant doit également gérer « ses propres affaires ».
L'on peut dire qu'en étant légalement et moralement responsable de
sa classe et de ses élèves avec leurs caractères, leurs intérêts,
leurs impulsions et leur énergie, ils sont devenus « ses
propres affaires ». Naturellement, il n'y a pas de relation
d'appartencance mais il ne peut néanmoins pas rester détaché de
leur(s) univers et inévitablement, ils feront partie du sien. La
classe et ses élèves deviennent une préoccupation personnelle de
l'enseignant et font partie de ses intérêts profonds. Désormais,
il s'agit de la gérer au même titre que ses autres intérêts sur
tous les niveaux : priorité temporaire et spatiale ;
effort émotionnel, intellectuel et corporel (pendant le cours et en
dehors).
3)
Cette dernière définition de « Gérer un problème, y
faire face, s'en occuper », n'a éventuellement de l'intérêt
que si gérer sa classe est perçu comme problématique. Or,
dans le sens premier du terme problème, il s'agit d'une « 1♦
[1382] Question à
résoudre qui prête à discussion dans une science. » (Robert,
1994, p. 1784)
L'enseignant
est quotidiennement amené
à s'occuper des
1« ADMINISTRER
v.tr. <1> – aministrer XIIe ; var.
amenistrer a. fr. ; lat. administrare 1♦
Gérer en faisant valoir, en défendant les intérêts. Administrer
les biens d'un mineur, d'un incapable. 2♦
Assurer l'administration de (un pays, une circonscription) en
exerçant des fonctions de direction et de contrôle (qui ne sont
pas d'ordre législatif ni gouvernemental). […] » (Robert,
1994, p.
30)1>
2Pour
des raisons de simplicité et de lisibilité, nous nous contenterons
par la suite d'utiliser la forme neutre/"multi-genre"
(qui est la même que celle du masculin) pour désigner un groupe
consistant de filles et de garçons ou de femmes et d'hommes. Nous
reconnaissons cependant cette "faille" dans la langue et
la culture française (et les autres langues et cultures
indo-européennes) et prions toutes les lectrices d'agréer nos
humbles salutations .
questions
à résoudre dans sa classe, aussi
bien au niveau didactique
que pédagogique et
nombreux sont les chercheurs proposant
des théories pour le
soutenir. Donc,
allons-y.
1.2
S'installer dans le travail – un plaisir ?
1.2.1
L'école est un loisir (imposé)
Pour
approfondir notre
problématique à nous, il
est bénéfique de s'intéresser également au deuxième sens du
terme problème,
celui qui est le plus courant dans notre langage du quotidien :
« 2♦ (1753)
Difficulté qu'il faut résoudre pour obtenir un certain résultat ;
situation instable ou dangereuse exigeant une décision. =>
difficulté, ennui. [...] » En effet, une classe "mal
gérée" peut créer des situations instables voir dangereuses
mais y aurait-il éventuellement une « difficulté » à
résoudre dès le départ ? Et quel serait le résultat à obtenir ?
En
remontant aux origines (occidentales) de l'école,
nous rencontrons le concept grec de σχολή
(scholè,
latin :
schola,
anglais : school,
allemand : Schule,
russe : школа
etc.)
qui
est aujourd'hui souvent traduit
par "loisir" mais dans le sens de « la liberté
d'échapper aux travaux productifs (πόνος/
pònos)
pour pouvoir se consacrer à des tâches plus élevées comme la
politique [...],
l'étude ou l'enseignement » (Migeotte, 2007, p. 26). Alors
que le ponos
concerne le monde matériel et assure la survie de l'humain au niveau
physique, la scholé
concerne le monde spirituel et vise l'élévation de l'humain au
niveau psychique.
C'est
dans cette perspective
que l'idéaliste
peut comprendre la
première des lois Jules Ferry, passée
en juin
1881 :
rendre l'école gratuite pour ainsi libérer
tous
les (jeunes) citoyens de la République de
la peine des travaux productifs
pour leur permettre de
se consacrer aux études, à la recherche
et à l'instruction, tout
comme
les nobles philosophes de l'antiquité.
Or,
la deuxième de ces lois réformatrices rend obligatoire
ce
privilège de l'instruction
en
mars 1882,
ce
qui la fait donc
passer,
paradoxalement,
du côté de scholè
(loisir, temps libre) au côté pònos
(peine,
labeur).
Il
faut alors
prendre en considération l'effet psychologique de l'obligation,
comme l'a
déjà remarqué Célestin Freinet (2007,
p. 25) dans
ses
Invariant no 4 et
n° 6 : « Nul - l'enfant pas plus que l'adulte - n'aime être
commandé d'autorité. »
et
«
Nul n'aime se voir contraint
à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas
particulièrement. C'est la contrainte qui est paralysante. »
Schulz
von Thun (1993, p. 214)
précise
que
chaque contrainte, obligation ou appel peut être perçu comme une
intrusion dans le
royaume de personnalité du destinataire
et que celui-ci a tendance de réagir avec un réflexe de réactance
pour protéger son intégrité psychologique. Schulz
von Thun
distingue (entre autre) entre ces deux cas :
1)
Une
jeune fille veut sortir le soir. Sa mère lui dit de
mettre un manteau. La fille est en colère et ne le fait pas alors
qu'il fait froid dehors.
2)
Les
parents d'un jeune garçon partent pendant le week-end. Pour leur
faire plaisir le garçon avait prévu de retourner
la terre dans le jardin. Avant de partir, le père lui dit :
« Et si tu t'ennuyais beaucoup, tu pourrais retourner
la terre dans le jardin. » Le
garçon est très déçu et ne le
fait pas.
Dans
le premier cas (correspondant à l'Invariant n° 4 de Freinet), la
fille n'accepte pas la relation autoritaire entre elle-même et sa
mère que cette dernière lui impose en lui donnant un conseil/ un
ordre. Son refus de le suivre ne signifie donc pas une méconnaissance
de son utilité. Ceci est aussi relativement souvent le cas à
l'école concernant la relation entre enseignant et élève mais bien
plus prégnant est l'état d'obligation générale d'aller à
l'école et
de s'instruire, imposée par l'autorité parentale,
institutionnelle et sociétale1.
Alors que l'enfant peut difficilement refuser d'aller à l'école, il
peut trouver des moyens de limiter les effets d'une instruction
obligatoire. Ainsi, Auger (2001, p. 17) analyse la passivité d'une
classe comme suivant :
« Elle
se manifeste par un "refus de participer", par
"l'inertie d'une classe ayant perdu toute initiative". Les
élèves sont "apathiques", indifférents" non
motivés : ils sont d'une "passivité endormante".
Ainsi
le bavardage, le brouhaha apparaissent comme la situation-problème
la plus fréquente en classe. […] Mais ces bavardages ne se font
pas contre le professeur, comme un chahut, ou comme le défi d'un
élève insolent ; ils se font sans lui. Ils ne sont pas
l'expression de l'hostilité des élèves mais plutôt de leur
indifférence. C'est une forme larvée d'absentéisme. »2
Dans
le deuxième cas (plutôt correspondant à l'Invariant n° 6 de
Freinet), il n'y a visiblement pas de difficulté relationnelle entre
père et fils, le premier faisant bien attention de ne pas être trop
imposant ou intrusif concernant la liberté du dernier. Selon Schulz
von Thun l'effet inhibant ou le réflexe de réactance serait
plutôt provoqué par une "violation du droit d'auteur". Si
tout est prescrit à l'élève, il n'a pas de moyens de faire valoir
sa personnalité. A un moindre degré que pour le premier cas, ceci
est pourtant aussi bien à prendre en considération pour comprendre
la faible motivation de certains élèves.
1.2.2
A rendre de mauvaise humeur ?
Nous
avons vu que l'imposition de l'école en tant que "loisir"3
fait preuve d'une ironie profonde qui n'incite pas tous les concernés
à rire. Nous comprenons d'ailleurs que les lois Jules Ferry n'ont
pas été mises en vigueur principalement pour le bien des individus
mais pour le bien de la République4.
De ce fait, le lieu de l'école moderne appartient d'autant plus à
la sphère de pònos,
celui des « travaux productifs », pour
les bénéfices de la société. L'individu
en ressent les conséquences : évaluation, notes, passages,
diplômes - la
1Le
fait que, législativement, ce ne soit pas la scolarisation mais
uniquement l'instruction qui est obligatoire ne change rien
pour l'aperçu et le sentiment de l'élève.
2En
forçant le trait et avec un peu d'humour, nous pourrions trouver
des points en commun avec la résistance non-violente (plus ou moins
consciente) pratiquée entre autre sous la forme de la
désobéissance civile de Thoreau
(1849) et de Ghandi.
3Les
termes schola
et école
ayant pris d'
autres
significations
en latin et en français, le
concept de la scholé est
généralement désigné par "loisir" en français,
de
licere :
être permis (Robert,
1994, p.
1301)
4Selon
Rothbard (2009), l'instruction obligatoire en France aurait été
une réaction à la défaite pendant la guerre franco-allemande de
1870. Il cite Léon Gambetta (en traduction) : "The
Prussian schoolmaster had won the last war, and the French
schoolmaster must win the next.".
réussite
ou l'échec scolaire équivalent à la réussite ou l'échec social.
Ainsi se plaignent
des lycéens à
leur façon du fait que le pònos
pris la place de la scholè (Blin,
2001, p. 32) :
« Il
faudrait moins de tension sur les élèves. Qu'on nous fasse
comprendre où est le réel intérêt de
faire des études. Qu'on nous prouve
qu'aller au lycée est une chance et
non une
punition [étymologie
de pònos !]. »
« Il
n'est physiquement pas possible ou du moins vivable de travailler
toute la journée et de rentrer chez
soi le soir pour bosser
encore 2 à 3h.
On n'a plus vraiment le temps d'élargir
notre culture ni justement de
développer notre créativité.
Le lycée sélectionne les élèves non pas sur leurs capacités
intellectuelles mais sur leur endurance
physique. »
Au
niveau lycée, l’étude de PISA 2012, menée
par l’OECD montre que seulement 47% des élèves français
de 15 ans se sentent « chez eux » à l’école (OECD,
2012, p. 20). Même si ce résultat n’est probablement pas
comparable à ceux des autres pays à cause
d’une mauvaise traduction de l’anglais ("School is a
place where I feel like I belong." contre « Je me sens
chez moi à l’école. »), il met en
évidence un pourcentage non négligeable d’élèves qui se sentent
mal à l’aise, voire pas à leur place à à l'école.
Si
le problème principal de l'enseignant, la difficulté à résoudre
était alors le refus des élèves de s'instruire, causé par des
contraintes pesantes et exprimé par une « passivité
endormante », une « forme larvée d'absentéisme »,
le résultat à obtenir serait de « les installer
dans un indicatif rigoureusement présent » (Pennac, 2007,
p. 70). Cette image employée par l'enseignant auteur promet la
possibilité du loisir retrouvé : L'installation d'un lieu et
d'un moment protégé à l'intérieur de l'école perdue entre
l'évaluation et les critères de la productivité. Les conditions
d'une installation dans un tel indicatif rigoureusement présent
seraient alors le détachement émotionnel (momentané) des facteurs
comme les contraintes psychologique ou la pression sociale. Pennac
inclus en outre des facteurs hors scolaire dans ses considérations,
qu'ils s'agit d'également relativiser (momentanément) :
« Nos
"mauvais élèves" (élèves réputés sans devenir) ne
viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui entre dans la
classe : quelques couches de
chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancœur, de colère, d'envies
inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé
honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les
voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur
sac à dos. Le cours ne peut vraiment
commencer qu'une fois le fardeau posé à terre et l'oignon épluché.
Difficile d'expliquer cela, mais un seul regard
suffit souvent, une parole bienveillante,
un mot d'adulte confiant,
clair et stable, pour dissoudre ces chagrins, alléger ces esprits,
les installer dans un présent rigoureusement indicatif. »
(Pennac, 2007, p. 70)
« Si
je veux espérer leur pleine présence mentale, il me faut les aider
à s'installer dans mon cours. Les moyens d'y arriver ? Cela
s'apprend, surtout sur le terrain, à la longue. » (Pennac,
2007, p. 132)
A
en croire cet enseignant expérimenté et réputé (et beaucoup
d'autres de ses collègues), il serait donc possible de (re-)créer
un moment, un lieu, une atmosphère de loisir véritable, dans lequel
l'élève peut entièrement se consacrer aux
études, à la recherche et à
l'instruction, tout comme
les nobles philosophes de l'antiquité. Comme
moyens d'y arriver, à part l'expérience sur le terrain en général,
il propose p.ex. « un seul regard », « une parole
bienveillante » ou encore « un mot d'adulte confiant »,
donc des messages destinés à créer une relation de confiance. La
question que nous nous posons par la suite est la suivante :
Sous quelle conditions
l'humour peut fonctionner comme un moyen d'aider
l'élève à poser
le fardeau, à
éplucher l'oignon,
à dissoudre ces chagrins,
à alléger ces esprits,
à s'installer dans mon cours,
dans un présent rigoureusement
indicatif ?
2.
Le sujet de la recherche et les outils d'analyse
2.1
L'humour en théorie
2.1.1
L'humour – comment le saisir ?
Encore
une fois, depuis les origines de notre culture (occidentale),
l'humour fait partie du débat philosophique et incite à méditer
sur son sens. Aujourd'hui, il existe beaucoup de concepts qui sont
plus au moins en lien avec l'humour tout en se distinguant de
celui-ci dans un ou plusieurs points plus ou moins subtiles selon les
contextes et les définitions de chacun. Ainsi, nous trouvons, aussi
bien dans la littérature de recherche que dans le langage quotidien
des termes comme rire, comique, trait d'esprit, ironie,
plaisanterie, gaieté, absurde, burlesque ridicule, raillerie,
moqueur, soit utilisés comme
synonyme d'humour soit en contraste. Leur point commun serait
l'absence du sérieux, voire sa négation, ce qui constituerait une
qualité définitivement relevant pour
nos besoins de chercheur. En consultant à nouveau Le Petit
Robert,
HUMOUR
n. m. – 1725 ; mot angl., empr. au fr. humeur
♦ Forme
d'esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en
dégager les aspects plaisants et insolites. => esprit.
L'humour et l'ironie. [...]
Faire de l'humour. => ironiser, plaisanter. […] ◊
contr.
Sérieux. (Robert, 1994, p.
1110)
Nous
découvrons que ce mot si courant aujourd'hui ne fait partie de la
langue française que depuis le XVIIIe
siècle, donc celui des Lumières. Ceux-ci, en échange avec les
philosophes britanniques l'ont (ré) importé de l'anglais, où l'on
se servait à son tour du
mot humor
du vieux français
pour désigner
d'English
humor
(dans
le sens "l'humeur anglaise" !) un
état d’esprit de
« tempérament
enjoué, gaîté, aptitude à voir ou à faire voir le comique des
choses » (Trésor
de la Langue Française informatisé, 2016).
Les
termes humor
(du vieux français) et donc humeur
à leur
tour trouvent
leur origine en
latin où humor
signifie "liquide".
Et
c'était
le médecin grecque
Hippocrate de
Cos (460
– 370 av. J.-C.) qui
élaborait
sa
théorie des quatre liquides
présents dans le corps humains, déterminant
le caractère ou
l'humeur
de l'individu selon leur concentration respective1.
Deux
compatriotes d'Hippocrate sont d'intérêt pour
notre étude :
Démocrite
d'Abdère fameux pour son rire et
Socrate
pour son ironie. Alors
que Démocrite prenait de la distance par rapport à l'absurdité de
l'existence humaine en y apercevant le comique pour en rire, Socrate,
face
à cette même absurdité, se prétendait ignorant pour poser des
questions cherchant des réponses contraires
aux idées affirmées.
1Le
caractère sanguin serait plus gai que les trois autres
(flegmatique, atrabilaire (mélancolique), bilieux
(cholérique).
Le
rire et le comique
Dans
son œuvre Le rire. Essaie sur la signification du comique,
Bergson utilise souvent le rire et le comique comme
synonymes dans ses élaborations. Admettons que le rire serait la
réaction physique au comique, l'utilisation de cette métonymie
facilite la compréhension des trois qualités principales du rire/
comique, évoquées par Bergson :
1)
Le comique est indissociable de l'humain (=> culturel) car
des choses ou des animaux (=> naturel) ne peuvent pas être
risibles à moins qu'ils ne montrent des caractéristiques rappelant
l'humain.
2)
« Le rire n'a pas de plus grand ennemi que l'émotion. […]
Le comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque
chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s'adresse à
l'intelligence pure. » (Bergson, 1900, p. 11) Nous trouvons
cette qualité bien discutable car si, en effet, de l'empathie
peut nous empêcher de rire de quelqu'un dans une situation
comique, ce n'est pas forcément la cas pour le mépris ou la
haine (=> sarcasme).
3)
« On ne goûterait pas le comique si l’on se sentait isolé.
Il semble que le rire ait besoin d’un écho. […] Pour
comprendre le rire, il faut le replacer dans son milieu naturel, qui
est la société ; il faut surtout en déterminer la fonction utile,
qui est une fonction sociale. […] Le rire doit répondre à
certaines exigences de la vie en commun. Le rire doit avoir une
signification sociale. » (Bergson, 1900, p. 11 – 12)
Le
rire que l'on identifie chez certains races de singes consiste
principalement en un soulèvement des lèvres afin de montrer les
dents. Cette grimace de rictus ressemble beaucoup à celle de
l'agression et de la violence chez les mêmes singes ce qui
soutiendrait l'hypothèse freudienne que le rire soit l'expression
d'une libération soudaine d'énergie superflue (Freud, 1905, p. 147)
suite à une chute de tension nerveuse : Une situation
aperçue comme dangereuse se révèle inoffensive, ce qui permet à
l'individu de se sentir (de nouveau) en contrôle et supérieur. Kant
l'a exprimé d'une façon plus neutre en disant que le rire est
"un affect résultant de la transformation soudaine d'une
attente extrême en rien" (cité après Lethierry, 2001a, p.
145) mais il faudrait préciser que cette transformation doit être
ressentie comme positive pour provoquer le rire1.
Lethierry poursuit que « L'éclat de rire est libération,
détente, relâchement et, de ce fait, a une valeur cathartique
indéniable. » pourquoi il favorise son utilisation en salle de
classe (Lethierry, 2001a, p. 145).
2.1.2
L'humour – comment l'utiliser ?
Si
le comique et le rire sont des phénomènes qui peuvent se déclencher
d'une façon involontaire, l'humour est, par définition,
intentionné. Ainsi, pour provoquer le rire volontairement, donc pour
faire de l'humour, il est question de faire exprès de créer ou de
répéter des situations comiques. Si p.ex. une petite fille âgée
de 5 ans chantait « Partout autour de nous, il y a des cygnes
et des poires dans les regards » au lieu de « […] des
signes d'espoir dans les regards » en rechantant la chanson "On
écrit sur les murs" de Kids United parce qu'elle a mal compris
l'original, ce serait une situation purement comique. Si une
marchande de fruits faisait exprès de chanter la même chose, ce
serait de l'humour. Certains malentendants témoignent d'ailleurs
qu'ils ont transformé leur point faible en une force, notamment
celle de faire facilement des jeux de mots. Le même procédé peut
être exploité avec des élèves.
Un
autre exemple est proposé par Marsault (2016,
p. 104), qui présente un chorégraphie de danse humoristique :
« Survenant de façon malencontreuse par l'erreur ou la
répétition d'erreurs, il [le comique de répétition] peut être
travaillé de façon volontaire pour en tirer un bénéfice. »
Ceci peut arriver quand l'élève hésite/ fait semblant d'hésiter
sur un mouvement ou quand il se trompe/ fait semblant de se tromper.
« Ces différents mouvements révélateurs d'hésitations ou
d'erreurs qui suscitent la moquerie des partenaires ou des
spectateurs, peuvent devenir de véritables arguments
chorégraphiques. » (Marsault, 2016, p. 104) Cette forme de
parodie nous illustre comment la fonction sociale du rire/ comique
évoquée par Bergson peut être exploitée par l'humour pour créer
des relations entre différents individus : Premièrement est
concerné le groupe des danseurs qui s'unissent par leur
auto-dérision collective à travers leur "répétition
simultanée" d' "erreurs volontaires". Et deuxièmement
sont aussi bien inclus les spectateurs qui comprennent l'intention
des artistes et qui rient donc avec et non pas de eux.
L'humour
et l'ironie
Nous
revenons donc enfin à Socrate et l'ironie qui consiste « à
énoncer ce qui devrait être en feignant de croire que c'est
précisément ce qui est » alors que souvent dans l'humour «
on décrira minutieusement et méticuleusement ce qui est, en
affectant de croire que c’est bien là ce que les choses devraient
être » (Bergson, 1905, p. 56)2.
Pour l'ironie, il s'agit donc d'un « regard faussement naïf »
(Deschard, 2014, p. 12) qu'a du porter Socrate sur les choses et qui
doit ressembler à celui de l'inspecteur Columbo de la série
télévisée du même nom. Ainsi, l'ironiste refuse d'obéir à la
règle de qualité de Grice qui exigerait « Do not say what you
believe to be false» (Grice, 1975, p. 27), : Ne dis pas ce que
tu crois être faux3.
Pour être compris, il doit donc se servir des marqueurs d'ironie
comme la mimique, des gestes ou la prosodie si le contexte ne rend
pas évidente l'antithèse du propos. S'il ne le fait pas ou pas
suffisamment, il n'est pas coopératif et sème
(consciemment) un doute d'ambiguïté plus ou moins évidente pour le
destinataire.
L'emploi
de l'ironie peut être très vaste et très divers. Alors que
certains chercheurs la voient comme une forme d'humour (Moreau,
Evrard, Rozon) d'autres la considèrent comme son contraire (Bergson,
Lardy, Moura) (citée par Deschards, 2014, pp. 12-13).
1Un
affamé qui attend extrêmement un repas pour finalement être
confronté à rien n'en rirait que sous la condition qu'il y ait la
qualité 2) du comique de Bergson :
« Il
semble que le comique ne puisse produire son ébranlement qu’à la
condition de tomber sur une
surface d’âme bien calme,
bien unie. L’indifférence
est
son milieu naturel. Le
rire n'a pas plus grand ennemi que l'émotion […]. »
(Bergson, 1900, p. 12). Il
s'agirait dans
ce cas là
d'un humour
extrêmement noir
qui exprimerait
l'idée de Platon « que
les vrais philosophes s'exercent à mourir et qu'ils sont, de tous
les hommes, ceux qui ont le moins peur de la mort » (Platon,
Phédon,
67 e, trad. Émile Chambry, cité par
https://fr.wikipedia.org/wiki/Socrate),
en
parlant de celle de Socrate
2Un
exemple d'ironie d'après cette définition pourrait être :
« Lance Armstrong était le plus honorable cycliste jamais
vu. ;-)» Un exemple d'humour serait donc plutôt celui-ci :
« Pour courir à un niveau hors normes, Lance est allé au
bout des limites. Il a même trouver des moyens de les dépasser,
bien plus souvent que d'autres. :-D» Ces exemples illustrent
également qu'il est difficile de reconnaître l'ironie ,
l'euphémisme et l'humour sans le contexte ni des signaux
non-verbaux.
3Les
quatre règles ("Maxims" du "Cooperative Principle")
de Grice comprennent 1) la règle de quantité/ quantity, 2)
la règle de qualité/ quality, 3) la règle de relation/
relevance, 4) la règle de modalité/ manner (Grice,
1975, p. 28). Deschards (2014, p. 14) les attribue à
l'universitaire français Franck Evrard (1996).
Partant
du principe que la figure de style de l'ironie, de la litote, de
l'antiphrase, de l'antithèse, de l'euphémisme et d'autres
peuvent être employés aussi bien dans un état d'esprit
bienveillant que destructeur, nous nous fions au concept de
Jankélévitch qui distingue entre les trois personnages du naïf, du
semi-habile et de l'habile1 :
Le naïf croit tout ce qu'il entend du pouvoir. Le semi-habile
a cerné la vérité et dénonce l'illusion du pouvoir alors que
l'habile, ayant lui aussi cerné la vérité « prône
les vertus de la tranquillité et de la stabilité » (Deschard,
2014, p. 12). A la surface, la naïf et l'habile se
ressemblent alors. Jankélévitch met en avant que l'ironie est
souvent utilisée par le semi-habile qui lui sert à critiquer
et à montrer les insuffisances et les contradictions du monde et des
hommes. L'humour cependant, du côté de l'habile, lui sert à
« aller jusqu'au bout de cette logique en acceptant ces
contradictions, en les assumant » (Deschard, 2014, p. 12) et en
s'y incluant, en tant qu'homme lui-même. Alors que l'ironiste peut
dénoncer et ridiculiser un discours pour en prôner un autre, qui
serait à prendre au sérieux, l'humoriste s'inclut forcément dans
sa critique (avec une part d'autodérision explicite ou implicite) et
relativise ainsi son propre discours.
Pour
conclure, nous constatons que l'ironie peut être aussi bien utilisée
d'une façon bienveillante que malveillante. L'humour, en contraste,
a forcément l'intention d'une bienveillance (sociale) car le
destinateur/ émetteur s’inclut dedans, ensemble avec le
destinataire/ récepteur2.
Cela n'empêche pas que l'humour peut être mal (com-) pris de la
part du récepteur pour ainsi être identifié comme ironie
malveillante.
2.2
Le carré de communication – un
outil d'analyse
Pour
analyser plusieurs exemples de situations d'humour et d'ironie en
classe dans la troisième partie de ce mémoire, nous utiliserons le
carré de communication un
modèle d'analyse d'interaction verbale et non-verbale. Il
a été conçu par Friedemann Schulz von Thun de l'Université de
Hambourg et présenté dans le livre Miteinander reden, Störungen
und Klärungen (Parler ensemble, Perturbations et et
clarifications), 1981. En Allemagne, il est aujourd'hui beaucoup
utilisé dans le milieu de la médiation et du coaching. Il nous
semble approprié pour analyser des situations en classe (plus
particulièrement des situations d'humour, où une communication sans
faute est importante) parce qu'il permet une analyse assez fine
allant au-delà du contenu factuel du message.
2.2.1
Les quatre côtés du message
1Ce
modèle rentre dans le cadre de la Théorie des trois stades
(Beckert, 2006).
2Par
la suite, nous utiliserons les termes émetteur et récepteur, pour
s'aligner sur la terminologie de Schulz von Thun (1993), ce qui sera
de pertinence plus bas.
Schulz
von Thun part du principe que chaque message se constitue de quatre
aspects, c'est à dire, que chaque message transmet des informations
dans quatre dimensions. L'émetteur peut mettre l'accent sur une des
ces dimensions mais les autres sont toujours également présentes.
Généralement,
la plus évidente de ces 4 dimensions est celle du contenu
factuel. L'accent est mis sur la transmissions de faits, de
données et d'informations pures. Il s'agit d'être clair et
compréhensible. Quand par exemple, un enseignant dit à sa classe :
« Il est 10h19 et 42 secondes. », il affirme que, au
moment où il le dit (sous-entendu), selon la convention commune de
mesurer le temps dans une journée, la 10e heure du jour
est accomplie, 19 minutes de la 11e heure se sont
écoulées ainsi que 42 secondes de la 20e minute.
A
côté de cela, chaque message contient toujours des informations sur
l'émetteur. Nous appelons ce côté du message celui de la
révélation de soi. L'émetteur révèle ce qui se passe à
l'intérieur de lui, comment il se voit, comment il aimerait être vu
par les autres. Souvent, la révélation de soi est livrée
d'une manière non-intentionnée et parfois même d'une manière
involontaire. Dans ces cas là, elle est toujours implicite (et
exprimée par des moyens non-verbaux, comme geste, mimique,
intonation, contexte). Mais elle peut aussi être livrée d'une
manière intentionnée et dans ces cas là, cela peut se faire
également d'une façon implicite ou d'une façon explicite.
Quand cela se passe explicitement (p.ex. : « Je suis
triste. »), la dimension de la révélation de soi peut
se superposer avec celle du contenu factuel. Les messages
avec un accent sur la révélation de soi, sont appelés des
je-messages
(Ich-Botschaften) par
Schulz von Thun. Dans notre exemple de l'enseignant qui
annonce l'heure à sa classe, selon le contexte et l'intention,
différentes messages peuvent être envoyés, comme par exemple :
1) Je suis si compréhensif de vous donner l'heure pendant votre test
pour que vous soyez plus en capacité de gérer votre temps. 2) Je
suis quelqu'un d'exact pour donner l'heure précise quand on me la
demande. 3) Je suis drôle car je donne un peu plus d'information que
nécessaire pour être en léger décalage avec les normes établies1.
Etc.
En
contraste des je-messages, il existe aussi des tu-messages
(Du-Botschaften)2
où l'accent est mis davantage
sur la dimension de la relation.
L'émetteur exprime ce qu'il
éprouve pour le récepteur et comment il définit
leur relation réciproque. Tout comme pour la dimension de la
révélation de soi,
celle de la relation
peut être exprimée d'une façon
explicite ou implicite et également d'une manière
intentionnée et non-intentionnée, voire
involontaire. La dimension non-verbale est également le principal
vecteur de la dimension relationnelle. L'enseignant
de notre exemple, encore une fois selon le contexte, peut véhiculer
à sa classe les messages suivants, entre
autres : 1) Vous êtes
dépendants de ma bonne volonté de vous laisser encore un peu de
temps pour votre test, ou pas. 2) Vous êtes
1Violation
(intentionnée) de la règle de quantité de Grice pour donner un
effet d'absurde. Doit être signalé par un marqueur (non-verbal)
pour être reconnu comme humour.
2Nous
préférons de traduire Ich-Botschaften par le terme
je-messages (plutôt que moi-messages)
et Du-Botschaften par le terme tu-messages (plutôt
que toi-messages)
pour différencier les derniers plus de ceux du côté appel.
en
position de force et je suis content de pouvoir vous donner
l'information demandée. 3) Vous
êtes assez cultivés mais pas trop non plus pour être susceptibles
de réagir positivement à cette tentative d'humour.
Etc. Les
exemples montrent que, réellement,
le côté relation
fait partie du côté révélation de soi.
Schulz von Thun (1993, p. 28)
souligne cependant l'utilité
de la distinction car
seulement l'émetteur est
concerné du côté révélation de soi
alors que du côté relation,
ce sont l'émetteur et le récepteur ensemble.
Le
quatrième côté du carré du message est celui de l'appel.
S'il y a des messages qui peuvent être identifiés très clairement
comme un message appellatif, Schulz von Thun part du principe que
tous les (autres) messages comportent (également) plus
ou moins un caractère
d'appel. Étant donné que la communication se passe toujours dans un
certain objectif, l'émetteur souhaite généralement non seulement
qu'il soit compris par le récepteur mais que celui-ci agisse d'une
certaine manière. Il peut s'agir de vœux, de demande, de conseils,
de d'ordres, de résultats souhaités etc. Voici
quelques possibilités d'appels de notre exemple : 1)
Dépêchez-vous si vous voulez un bon résultats. 2) Respectez mon
exactitude. Soyez exactes dans ce que vous faites. 3) Reconnaissez
mon offre de connivence et faites un pas envers moi en souriant. Etc.
Chaque
message comporte donc toujours les quatre côtés du carré
de communication. L'émetteur
accentue cependant un ou plusieurs côtés
d'une manière intentionnée, non-intentionnée ou involontaire et
d'une façon explicite ou implicite. Un
des objectifs principaux d'une médiation
ou d'un coaching serait la
prise de conscience de l'émetteur concernant
la constitution de ses
propres messages.
2.2.2
La part du récepteur
Nous
avons vu comment l'émetteur peut construire et envoyer
son message multi-dimensionnel et combien il y a de possibilités
d'embrouiller son contenu plus ou moins consciemment. Mais la part du
récepteur lors du déchiffrage équivaut celui de l'émetteur lors
de l'encryptage. Le carré de communication est également appelé
"le modèle à quatre oreilles" et nous verrons pourquoi ce
nom est bien significatif.
Le
récepteur a principalement libre choix avec quelle oreille il
préfère entendre le message. Même si l'émetteur et le récepteur
utilisent les mêmes codes et l'émetteur s'en est bien servi pour
construire son message, le récepteur a généralement une oreille où
il est plus réceptif que sur les autres. Ceci peut changer en
fonction du contexte et de son état psychique. Nous reprenons un
exemple de Schulz von Thun pour illustrer les différentes manières
d'entendre selon l'oreille dominante :
Dans
le couloir de l'école, une enseignante est abordée par un élève
qui lui dit : « Madame ! Héloïse a balancé son
manuel dans un coin ! » L'enseignante peut réagir de
manières suivantes :
1)
« Pourquoi elle a fait cela ? », « Est-il
cassé ? » L'enseignante prend compte du contenu
factuel et demande d'autres informations du même niveau.
2)
Des retours comme « Elle t'énerve, cette Héloïse, n'est-ce
pas, Claire ? » ou encore « Tu es une petite
rapporteuse, dis donc. » seraient des indices pour une oreille
qui écoute bien le côté révélation de soi
du message de Claire.
3)
Une oreille bien développée du côté relation causerait un
retour comme par exemple « Cela ne me regarde pas, Claire. Je
ne suis pas votre maman. » ou au contraire « Je suis
contente que tu soies venue me voir pour m'en parler ... »
4)
Mais selon les expériences de Schulz von Thun, la réaction la plus
fréquente dans un tel cas serait celle provoquée par une oreille
attentive au côté appel du message : « D'accord,
j'arrive tout de suite pour voir ce qui se passe. »
En
général, nous pouvons constater qu'il est bénéfique d'avoir les
oreilles des quatre côtés développées d'une manière équilibrée
pour pouvoir être à l'écoute dans toutes les situations, quel que
le message reçu. Cependant, une oreille sur-développée qui est
sur-sensible aux dépends des autres peut être aussi nuisible qu'une
oreille sous-développée qui n'entend pas des messages subtils mais
importants concernant son domaine1.
Pour
compléter et conclure ce chapitre sur le carré de communication
comme outil d'analyse de situation d'humour, nous rappelons et
insistons sur le fait qu'il y a plusieurs sources d'erreurs possibles
dans l'échange verbal et non-verbal entre émetteur et récepteur :
1) L'élaboration du message n'est pas évidente pour l'émetteur. Ce
qui est envoyé n'est pas forcément représentatif pour ce qui est
"à l'intérieur". 2) Le message reçu n'est pas forcément
le même que celui qui a été envoyé. Des interférences extérieurs
peuvent perturber sa transmission. 3) Le récepteur n'interprète pas
forcément le message comme l'émetteur en avait eu l'intention car
leurs oreilles (et langues) ne sont pas développées au mêmes
degrés . 4) Le retour (feed back) qui assure normalement le bon
fonctionnement de la communication est, lui aussi, un message et donc
pareillement sujet aux mêmes sources d'erreurs possibles. Un acte de
communication complet peut donc être représenté avec le schéma
suivant :
1Chaque
spécialisation d'une oreille en particulier a comme conséquence
(et cause également!) des caractéristiques spécifiques de
l'individu. Contenu factuel : "Le rationaliste
insensible". Relation : "L'hypersensible qui
ramène tout à sa propre personne" Révélation de soi :
"Le diagnostiqueur détaché qui ne se sent jamais visé
lui-même". Appel : "Le bien serviable,
devinant les souhaits des autres avant qu'ils ne les prononcent."
ou "Le méfiant qui soupçonne la manipulation cachée derrière
chaque énoncé." Voir Schulz von Thun (1993, pp. 47 etc.)
Si
les différentes techniques de l'humour donnent beaucoup de
possibilités pour transmettre des messages d'une façon affinée et
subtile, elles peuvent aussi être sources d'erreurs supplémentaires,
surtout si les partenaires concernés ne les maîtrisent pas au même
niveau ou de la même manière. Pour s'en rendre conscient plus en
détail, nous analyserons quelques exemples tirés du quotidien
scolaire de la région angevine.
3.
L'humour sur le terrain
Pour
se rapprocher progressivement de la problématique finale, nous
passerons par trois étapes :
1)
L'analyse d'un questionnaire évaluatif (annexe,
p. 1), qui a été donné à 43 élèves de deux classes de 4e
du collège Montaigne, en
REP /RRS à Angers (49) à la fin du mois de mars 2016, juste
après une mini-séquence de 6 heures en anglais, langue vivante, sur
un article de journal sur Lionel Messi1.
Il nous sert à comprendre quelques liens possibles, chez les élèves,
entre le travail et l'amusement.
2)
L'analyse d'un questionnaire retour
(annexe,
p. 4), qui
a
été réalisé au cours du mois d'avril 2016 auprès de 39
élèves de deux classes de 4e du collège
Vallée du Lys de Vihiers (49). Il s'agit des deux classes de 5e
de l'année scolaire 2014/2015 auxquelles j'enseignais l'anglais
jusqu'au mois de janvier 2015. Il nous permet de prendre conscience
des moments que les élèves ont vécu comme stressants ou
comme drôles.
3)
L'analyse d'un moment exemplaire, la mise en scène d'un sketch, qui
a été vécu par les élèves aussi bien comme stressant que drôle.
Nous nous servirons des quatre côtés du carré de communication
pour se faire une idée précise de l'enjeu de l'humour dans des
situations sensibles.
3.1
Les questionnaires
3.1.1
Le questionnaire
évaluatif
– amusant ou
pas
Grâce
à l'exploitation de ce questionnaire évaluatif (annexe, p. 46-49),
nous nous faisons d'abord un aperçu général de l'impression que
les élèves peuvent avoir d'un cours ambitieux sur les trois
niveaux utilité, intérêt et
amusement . La catégorie "ambition" (de la
part de l'enseignant) ou difficulté (de la part de l'élève)
concernerait le niveau du contenu du cours par rapport à celui des
élèves. L'utilité fait
plutôt partie de la sphère du ponos : Qu'a apporté le
cours pour réussir au niveau scolaire, pour être efficace et
productif dans l'avenir ? Il s'agirait des facteurs de
motivation plutôt extrinsèque. L'intérêt représente alors
la sphère de la scholé : L'apprentissage pour
l'épanouissement et l'évolution personnelle du concerné. La
motivation intrinsèque est prépondérante.2
Enfin, si les deux catégories utilité et intérêt
demandent tout de même un certain effort, un engagement et une
concentration, l'amusement servirait, par opposition, au
divertissement, à la détente et au repos. Également, il pourrait
servir, à l'aide de l'humour comme « outil éducatif»
(Lethierry, 2015b), de passer d'une attitude cherchant l'utilité à
une attitude cherchant l'intérêt des choses. Nous entrevoyons que
ce passage correspondrait à celui du « chagrin » (notes,
diplômes, réussite /échec scolaire) au « présent
rigoureusement indicatif » de Pennac (2007, p. 70).
Des
43 élèves du collège Montaigne qui ont répondu3
nous avons obtenu les résultats suivant : 15 facile (+
13 moitié facile /moitié difficile)
8
difficile (+ 13 moitié difficile /moitié facile)
29
utile (+ 8 moitié utile),
28
intéressant (+ 9 moité intéressant)
17
amusant (+ 12 moitié amusant).
Du
côté des élèves, le travail pédagogique semble donc plutôt
réussi.
Ensuite,
nous passons à l'analyse détaillée des réponses de la catégorie
amusant /pas amusant pour relever quelques aspects
pertinents pour notre problématique. D'abord, nous supposons pour
qu'un cours soit classifié comme amusant de la part de
l'élève, qu'il doit contenir des éléments ludiques et /ou
comiques4.
Dans tous les cas, nous faisons une association avec ce que nous
recherchons à établir en classe en utilisant consciemment l'humour.
Le
côté amusant
En
isolant les réponses des 17 élèves qui ont trouvé le cours
amusant, l'observation la plus pertinente consiste dans le
fait qu'amusant va souvent de paire avec intéressant
(14/17) et même utile (11/17) mais pas forcément avec facile
(6/17). Les élèves qui ont trouvé le cours en même temps
amusant et moitié facile /moitié difficile sont aussi
nombreux (6/17) et il y a même 3/17 élèves qui l'ont trouvé
amusant et difficile. Ce phénomène est encore plus
visible en examinant les réponses des 9 élèves qui ont coché les
1Tâche
intermédiaire de la séquence : compréhension écrite de
l'article de journal. Tâche finale : production écrite d'un
chat [mot anglais!]
numérique, discutant de l'article.
2Une
grande partie des élèves ayant coché aussi bien utile
qu'intéressant, relativement peu d'entre eux semblent avoir
éprouvé cette distinction en opposé entre utilité et
intérêt pendant le cours. Un exemple serait l'élève qui
l'a évalué comme utile mais pas (du
tout) intéressant,
pas amusant et
facile.)
3Entre
8 et 12 élèves n'ont pas du répondre alors qu'ils ont été
sollicités pendant le cours. L'interprétation de ce fait peut être
variable mais il est probable que ces élèves là ont trouvé le
cours pas amusant et pas intéressant. utile
peut-être et difficile
ou facile seulement
s'ils se sont engagés
à un moment donné.
4AMUSANT
[…] Qui amuse, est propre à distraire, divertir. => comique,
divertissant, drôle, plaisant, réjouissant. (Robert, 1994, p.
76)
trois
qualités positives pour classifier le cours (amusant, intéressant
et utile) :
Seulement 2/9 l'ont trouvé juste facile, 1/9 difficile
et une majorité de 5/9 moitié difficile et moitié
facile.
Nous
constatons des résultats semblables chez les élèves qui ont trouvé
le cours moitié amusant (ou parfois amusant) : 2/12
l'ont également trouvé difficile.
Mais le nombre d'élèves qui a répondu moitié facile et
moitié difficile (5/12) équivaut à celui de ceux qui
l'ont trouvé seulement facile (5/12).
Nous
mettons ce goût pour une légère difficulté ou une "difficulté
surmontable" en lien avec le sentiment d'efficacité
personnel de Bandura (2007, p. 10 et suiv.) : Pour que
l'occupation avec une tâche soit attirante, intéressante,
entraînante, voire amusante, il ne faut pas que la tâche soit
1)
ni trop difficile car, sans recul, un échec peut engendrer une
dévalorisation du sentiment d'efficacité
personnelle
2)
ni trop facile car un succès n'ajouterait pas de valeur au sentiment
d'efficacité personnel et la tâche serait perçue comme une
perte de temps
Étant
donné que ces élèves se sont amusés pendant notre cours, nous
pouvons résumer qu'une grande partie d'entre eux prend plaisir en
travaillant sur des problèmes difficiles mais surmontables.
L'opposition entre travail et plaisir n'est donc pas catégorique et
peut même être anodine.
Le
côté pas amusant
Le
contraire semble être le cas pour les élèves qui n'ont pas trouvé
le cours amusant, qui n'ont donc rien coché dans la catégorie
amusant (sans réponse)1
ou qui ont coché pas amusant. Dans ce contexte, deux indices
sont dignes d'être observés de plus près :
1)
Parmi les
8 élèves ayant trouvé
le cours explicitement
pas amusant,
certains l'ont
également trouvé soit
(trop ?) difficile (3/8)
soit (trop?) facile (4/8)
alors qu'un seul
(1/8)
a mis sa croix entre les deux, au
"juste milieu". Nous
pouvons donc supposer un lien entre l'ennui et une trop grande
difficulté ou une trop grande facilité. Cela indique que
l'amusement ne serait donc pas seulement dépendant d'application de
techniques d'humour, d'ambiance ou de l'état d'esprit qui règne
dans la classe mais aussi du niveau des problèmes (pro-) posés.2
2)
A part cela, il est
également remarquable que dans
les deux groupes confondus (sans
réponse pour amusant
et pas amusant),
14/14 ont trouvé le cours soit utile
(11/14), soit intéressant
(9/14) et la moitié, (7/14) l'ont trouvé aussi bien intéressant
qu'utile.
Pour l'enseignant, cela
peut-être décevant d'un côté car sa tentative d'alléger le cours
par une attitude plaisante voire
l'humour ne les a pas atteints.
L'autre facette atteste
que ces élèves se
sont montrés sérieux
(malgré les distractions (non-) amusantes de l'enseignant) pour
trouver quelque chose d'utile et d'intéressant, donc pour
s'installer dans le travail productif de ponos
et /ou "noble" de scholé.
Le superposition de
plaisir et travail (sérieux) n'est pas le cas.
Pour
conclure, nous confirmons que, selon notre analyse des résultats, la
difficulté du cours est un facteur très important pour que l'élève
y prenne plaisir. Le fait de surmonter un réel défi est source de
plaisir, dans le sens de Bandura et son sentiment d'efficacité
personnelle. Certains élèves l'ont éprouvé, tout en
travaillant pour un objectif utile et /ou intéressant.
L'installation dans « l'indicatif rigoureusement
présent » (Pennac,
2007, p. 70) semble être
réussie. Pour certains autres, celle-ci ne passerait pas forcément
par l'amusement mais serait quand même réussie, notamment
pour ceux qui ont trouvé le cours non pas amusant mais
intéressant (9/43). Pour les 3/43 qui ont trouvé le cours
seulement utile mais ni intéressant ni amusant, nous supposons un
arrangement docile avec les contraintes institutionnelles, ce qui ne
serait pas le cas chez tous ceux qui, par exemple, n'ont pas du tout
répondu au questionnaire ou pas sérieusement.
3.1.2
Le questionnaire retour
– stress ou détente
L'objectif
de ce questionnaire retour (annexe, p. 50-51) est de prendre
conscience des situations qui ont été vécues comme stressantes
ou comme drôles, donc amusantes et relaxantes voir
« cathartiques » (Lethierry,
2001a, p. 145).
A travers l'analyse des réponses et de leurs combinaisons, nous
tenterons ensuite l'interprétation des causes circonstancielles.
Les
moments stressants
Des
39 élèves, 20 se souviennent après bien plus d'un an d'avoir vécu
un moment stressant en cours d'anglais dans leur année de 5e.
Nous en avons identifié 4 types différents :
1)
7 élèves se sont sentis stressés pendant un moment de conflit
physique, une bagarre entre deux garçons.
2)
5 élèves ont vécu comme stressant le fait de passer devant la
classe pour jouer un sketch, créé et mis en scène en groupe
par les élèves eux-mêmes. Il s'agissait d'une représentation
d'une situation en classe d'anglais où l'enseignant avait du mal à
gérer la classe.
3)
5 élèves constatent avoir été gênés par le bavardage et
par le bruit de fond constant qui régnait en classe. 2 ont
éprouvé l'ambiance en général comme stressante. Ceci peut
signifier la même chose que le bavardage mais aussi l'entente
entre les élèves.
4)
Enfin, 2 ou 3 élèves étaient stressés par les contrôles,
dont un parce qu'il y avait du bruit pendant ceux-ci.
Les
moments drôles
Des
39 élèves, 24 se souviennent d'avoir vécu un moment drôle en
cours d'anglais dans leur année de 5e. Nous en avons
identifié 4 types différents :
1)
8 élèves se sont amusés en faisant des sketchs, mettant en scène
une situation hors du cadre disciplinaire.
1Les
élèves n'ayant pas coché toutes les catégories ont probablement
seulement coché ce qui leur paraissait pertinent. Ils ont
uniquement donné des réponses "positives" (intéressant,
utile). Les réponses négatives ont été omises et peuvent
donc être sous-entendues. Nous pouvons alors partir du principe que
le cours n'a pas été amusant pour eux.
2A
l'inverse, il se pourrait aussi que l'amusement, l'humour etc.
aident certains élèves à s'installer dans le travail ce qui le
rendrait moins difficile. Chez les élèves pas amusés, cela ne
serait donc pas le cas.
2)
4 élèves prenaient du plaisir en chantant en groupe classe ("Three
little birds" de Bob Marley).
3)
4 élèves appréciaient l'ambiance générale en groupe et 2
mentionnent des blagues.
4)
Alors que dans le point 3), il s'agit des cas qui peuvent être
interprétés aussi bien dans un sens positif que dans un sens
négatif (ambiance détendue et sereine contre une ambiance "mal
gérée"), il y a aussi 6 cas où il s'agit apparemment
de moquerie : 4 élèves mentionnent la
bagarre1,
1 élève trouvait drôle quand l'enseignant
« essayait de parler français » et un
trouvait drôle quand « il y avait plein d'élèves qui
métaient
le désordre, vous criez et c'était marant (sic) ».
Nous
pouvons faire le constat que la plupart des situations sont décrites
comme stressantes par certains et comme drôles
par d'autres, notamment les sketchs, l'ambiance et la bagarre. En
fait, si tous les élèves du groupe classe ont été marqué par les
mêmes moments, il n'y en a que peu qui ont été unanimement
identifiés comme positifs ou négatifs : les contrôles comme
négatifs et l'activité du chant comme positive. Pour essayer de
comprendre cette ambiguïté dans la perception des moments, nous les
analyserons à l'aide du carré de communication et de ses
quatre côtés, même s'il ne s'agit pas d'actes de communication
dans le sens étroit du terme.
3.2
Les sketchs – une mise en abyme
Le
message :
Dans
le cas des sketchs, le message qui crée du stress ou du plaisir
n'est en fait pas seulement celui qui est reçu comme consigne, donc
comme tâche finale (annexe, p. 52). En théorie, le récepteur
pourrait ne pas être d'accord avec l'appel et le refuser. En
pratique (scolaire), il est cependant contraint à s'incliner,
puisqu'il évolue à l'intérieur d'un cadre réglementaire. Le
message s'appuie toujours sur un cadre et y fait (implicitement)
référence et dans notre cas ce serait le cadre de l'école et celui
de la classe en particulier. A part le message de la consigne et le
cadre, nous tiendrons également compte de la représentation même
du sketch, qui constitue, elle aussi, un acte de communication.
3.2.1
Le
contenu factuel
– compréhension difficile ?
a)
Le contenu factuel
de la consigne
: Il
s'agit d'une division du groupe classe
en plusieurs groupe de 3
élèves.
Par écrit, en
suivant les consignes précises
et en s'appuyant sur des modèles, ils préparent une production
orale, mettant en scène une situation de classe (mise en abyme). Les
phrases sont construites de façon courte et simple pour faciliter
la compréhension et
pour limiter précisément le champ d'action. La langue anglaise
représente cependant un facteur de perturbation potentielle
supplémentaire. Lors de plusieurs phases
de clarification par oral, aussi bien en anglais qu'en français,
l'enseignant a expliqué
son ambition en réagissant aux retours des élèves. En observant le
résultat final,
nous constatons un écart, très conséquent chez
certains groupes, avec les consignes de départ qui peut être dû,
entre autres, à une mal-compréhension, à
un manque d'attention ou
à une
incapacité.
b)
Le contenu factuel
du sketch :
Dans les 14 sketchs, il y a plusieurs variantes dont les points
communs sont les suivants : Un enseignant essaie de faire cours et de
gérer sa classe alors que les élèves sont (pré-) occupés par
d'autres choses. Les moyens appliqués par l'enseignant sont plus ou
moins efficaces.
Par des conventions communément acceptées, les moyens théâtraux
servent à se rapprocher d'une situation réaliste tout en rendant
évident son caractère artificiel.
3.2.2
La
révélation
de soi
– c'est moi, ou pas
a)
La révélation de soi de
la consigne : De
part le
caractère
appellatif du message, son contenu et le
cadre même de la situation, l'enseignant en tant qu'émetteur, ne
révèle rien d'explicite sur lui-même
à ses élèves. En
revanche, nous
constatons une
révélation de
soi importante
(plus ou moins
consciente) de
l'enseignant dans
une dimension implicite
2 :
1)
Si les consignes sont
formulées d'une
façon relativement
claire et précise vers
la fin de la séquence,
ceci n'a pas été le
cas à son début. Il y a eu une évolution qui montre une certaine
capacité de flexibilité mais aussi et surtout un manque
d'expérience et de préparation.
2)
En tant qu'auteur des
consignes, l'enseignant révèle par son choix de
compétences à travailler la priorité qu'il leur
donne :comportement
en classe, se mettre
à la place de l'enseignant, "can, must, mustn't", "class
contract" etc.
3)
Dans l'exemple, également rédigé par l'enseignant, figure un
"teacher", qu'il ne peut modeler qu'à travers une vision
générale qu'il
a du rôle des
enseignants.
Lui-même faisant partie
de ce groupe, il ne peut donc difficilement éviter d' y inclure
l'image qu'il se fait de lui-même (dans
le rôle de l'enseignant).
Nous
supposons que les élèves ne sont que peu conscients
du côté révélation
de soi de
l'enseignant,
à part la formulation
et la
transmission des consignes, mentionnées
en point 1), surtout à
l'oral.
b)
La révélation de soi du sketch : La
révélation de soi
en tant qu'acteur est un sujet de recherche très riche et ne peut
être abordé que brièvement dans le cadre présent. Le grand
paradoxe consiste visiblement dans le fait que l'acteur joue un rôle
et n'est donc apparemment pas authentique, dans quel cas il aurait
toutes les possibilités de ne rien révéler de lui
du tout. Or, nous ressentons tout le contraire quand nous sommes sur
scène, amenés à
jouer un rôle et d'autant plus quand ce
rôle incarne un personnage très différent voir
à l'opposé de l'image que nous avons de
nous-même. Nous préférions encore être
le plus proche de
nous-mêmes que possible
ou plutôt du rôle que nous assumons dans la vie "réelle",
celui que nous avons coutume de jouer au
quotidien. La
psychanalyse et certains courants philosophiques, comme le bouddhisme
par exemple pourraient mettre en avant l'argument de l'universalité
et que chaque être humain comporte en lui
tous les aspects de l'univers et donc tous les traits de caractères
de tous les humains, d'une manière plus ou moins consciente ou
refoulées. Ainsi, agir comme "un
autre" reviendrait à agir comme (une partie de) nous-mêmes,
plus précisément
comme une partie que nous ne voudrions surtout pas révéler à
autrui voire à
notre propre conscience.
1Cette
situation pourrait avoir une fonction cathartique pour les
spectateurs dans le sens qu'elle leur permettrait d'extérioriser et
de dissoudre des agressions retenues par transfert
2Nous
nous limitons ici à une analyse très brève de tous ce qui
concerne l'enseignant car cela devrait faire l'objet d'un travail
de recherche à part, mené par une autre personne.
Dans
ce cas, le stress que ressentent les élèves lors de la mise en
scène serait alors provoqué par la révélation
de soi imposée par la consigne. A cela
se rajoute le fait de l'évaluation et de la notation :
L'évaluation engendre du stress en
apportant un regard scrupuleux
et un retour critique, donc une confrontation de l'élève à
lui-même à travers un miroir tenu par l'autre. Elle
est ressentie d'autant plus stressante
quand elle n'est pas la bienvenue et réalisée
par une personne jugée socialement et /ou
intellectuellement supérieure.
Quant au
stress de la notation, il
relèverait plutôt du classement par
rapport aux autres (la société)
et au jugement de
valeurs sous-entendu (de la part de l'élève tout du moins). Ainsi,
la notation ferait partie d'un système mis en place pour rendre
efficace le travail productif /ponos.
Dans
le cas des élèves qui ont éprouvé la
mise en scène des sketchs comme drôle,
nous pouvons supposer une capacité de prise de distance comme évoqué
par Bergson (1900, p. 11) : «
Le
rire n'a pas de plus grand ennemi que l'émotion. […] Le
comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque chose
comme une anesthésie momentanée du cœur. » L'évaluation
et la notation comme facteurs
extérieurs jouent un rôle moins important et peuvent être mises à
l'écart pour que la
révélation
de soi
soit
assumée comme une auto-dérision volontaire sans attachement
émotionnel vis
à vis les traits de caractère révélés. Ainsi,
leur découverte peut être appréciée comme un épanouissement
personnel et
ferait ainsi
partie de la sphère de la scholé.
En
outre, la scène à jouer représente une mise
en abyme permettant
à l'élève de vivre ce qu'il n'a pas le droit de vivre normalement.
Ainsi, le
personnage
élève peut
bavarder, mâcher des chewing-gums ou lancer des boulettes de papier.
Sous le manteau de l'humour, qui
permet la prise de distance par rapport au pouvoir,
une véritable catharsis montre ses effets pour que les élèves
puissent "poser le fardeau par terre" et "éplucher
leur oignon".
3.2.3
La relation – c'est
moi et toi
a)
La relation de la
consigne :
Soit l'enseignant arrive
à proposer
l'activité du sketch aux élèves
et ils en tireraient un plaisir, soit il se voit contraint (sic, par
le cadre institutionnel)
de l'imposer
par la contrainte dans quel cas ils en éprouveraient du stress. Dans
le premier cas, il s'agirait d'un mode de gestion principalement
fondé sur l'autorité, Auctoritas
selon la conception de
Prairat (1997,
p. 84),
voire sur la raison
et l'humour
constituerait un outil adapté et avantageux. Dans le deuxième cas,
l'enseignant se servirait plutôt de son statut et de
son pouvoir
institutionnel (Potestas
selon Prairat, 1997,
p. 84) pour mettre
l'élève au travail. Le dernier percevrait l'humour alors comme une
feinte, voire
comme de l'ironie. L'exemple de l'annonce de l'enseignant « C'est
le grand jour – on va
jouer les sketchs aujourd'hui ! », avec un grand sourire
montre comment son interprétation peut varier
en fonction de la relation
préétablie entre lui et l'élève : Dans
la même classe, une
partie des élèves saisira l'humour (malgré l'évaluation et la
notation) alors que d'autres sentiront
la force du pouvoir et de la contrainte à travers le masque
(ressenti) du
sourire. Alors que les
premiers seraient plutôt sensibles sur l'oreille relationnelle
pour entendre la
tentative de créer une atmosphère détendue,
les derniers entendraient
principalement l'appel
de la consigne, c'est à dire l'ordre contre lequel ils se
révolteraient. L'humour
serait alors mal compris comme de
l'ironie, voire du
sarcasme.
b)
La relation du sketch : Alors qu'il est généralement
possible d'envoyer des tu-messages à leur camarades, un tel
sketch peut représenter l'occasion unique pour les élèves
d'envoyer des tu-messages puissants envers l'enseignant. La
grande majorité d'entre eux a choisi le ton de l'humour dans leur
sketch ce qui leur permet un renversement temporaire des
circonstances hiérarchiques dans un sens carnavalesque selon
Bakhtine (1982). Sur la
scène, ce monde inversé protégé, le chahuteur est accepté et
même apprécié par les spectateurs. Encore plus que du côté
révélation de soi, la catharsis fait son effet au niveau
relationnel, si l'élève est capable de prendre de la distance par
rapport aux hiérarchies habituelles. Les élèves ayant éprouvés
du stress avaient éventuellement des difficultés avec cette double
perspective (réalité versus scène) qu'ils portent sur l'enseignant
et que ce dernier porte sur eux (en tant qu'enseignant versus
spectateur).
Dans
le cas de l'élève qui joue l'enseignant, cet effet est encore
amplifié. Si un élève audacieux se sent suffisamment protégé par
la scène, il peut faire une caricature très hilarante ou humiliante
de l'enseignant, selon la perception du spectateur. Pour ce dernier,
en l'absence d'un retour vérifiant, il n'est d'ailleurs pas toujours
évident de reconnaître si l'élève avait l'intention de
représenter une caricature ou une image réaliste voire idéalisée
de l'enseignant. L'élève artiste peut profiter consciemment de
cette ambiguïté.
Il
y a aussi des élèves qui expriment leur désaccord avec la consigne
et donc l'enseignant et l'institution en s'arrêtant au "service
minimum". Il s'agit de ce « refus de participer »,
qui est « une forme d'absentéisme larvée » selon Auger
(2001, p. 17). Leurs tentatives d'être drôles lors de
la mise en scène relèvent alors plutôt de la sphère de l'ironie
et du sarcasme, qui sert à casser l'effort sérieux, soit de
l'enseignant, soit des autres. Il est à noté cependant qu'à
l'intérieur du collectif des "moqueurs", cette ironie est
perçue, justement, comme de l'humour car personne du
collectif n'est ni touché ni exclue. Comme
l'humour, l'ironie garde cette « valeur
sociale qui unit les enfants |…]
c'est un rite de passage,
d'initiation » (Soulé,
1987, p. 40), une
connivence précieuse, restreinte
seulement à un cercle de privilégiés qui se définit
par une opposition à d'autres.
2.3.4
L'appel -à
toi de jouer
a)
L'appel de la
consigne :
La forme de l'impératif,
le modal must
identifie le message assez clairement comme un appel
de mise au travail. Selon
la motivation générale et les
préférences particulières du
récepteur, il peut être
compris comme une
invitation (proposition)
ou une contrainte (imposition)
de s'installer dans « l'indicatif rigoureusement présent »
de Pennac (2007, p. 70). Dans
le premier cas, l'humour peut donc être bénéfique pour
y arriver alors que
dans le dernier, ni l'humour ni l'ironie ne sont probablement adaptés
à détendre l'élève pour s'investir sérieusement dans le travail.
Pour l'élève qui est déjà motivé à l'origine (intrinsèquement),
la consigne, une contrainte seulement apparente, est l'autorisation
subtile
et bienvenue pour échapper au ponos
et se donner à la scholé.
Pour l'élève non-motivé, la consigne est une contrainte véritable,
le forçant à travers
la notation ou la sanction au
travail productif pour assurer sa survie scolaire et sociale.
Un
appel
bien moins évident à
identifier
est en lien avec la révélation
de soi et
la relation :
En demandant aux élèves de jouer sur scène une situation en
classe, il leur donne l'autorisation d'exprimer librement (avec les
moyens théâtraux) leurs
sentiments concernant l'ambiance en classe et sa gestion. Il les
incite à
lui donner un retour implicite concernant sa pratique d'enseignant, à
lui renvoyer des tu-messages
du côté relationnel
pour
lui permettre d'accéder par
la suite à la
révélation
de lui-même. Dans le
cas où
l'enseignant reçoit
des retours (trop)
critiques, l'humour
lui permet de les
prendre avec
une certaine distance pour mieux les analyser, les
interpréter et les
intégrer. Il s'agirait également d'une forme de protection de sa
santé psychique pour ne pas prendre trop
au sérieux des "attaques personnelles". Si, l'ironisation
de ces retours critiques, sert également à protéger la psyché de
l'enseignant, elle a comme conséquence le rejet complet de cette
critique éventuellement constructive. Alors qu'avec l'humour, il
maintien voire renforce le lien entre lui-même et les élèves, avec
l'ironie (amère), il augmente la distance.
Il
reste encore un autre
appel,
qui peut être
identifié comme une demande de compréhension et de compassion :
En jouant le rôle du "teacher", les élèves sont amenés
à se mettre à la place de l'enseignant pour gérer la classe. Même
s'il ne s'agit que
d'une situation fictive, ils sont obligés d'analyser les
causes et les
conséquences de
plusieurs types de comportement pour créer une ambiance réaliste et
non pas (trop) absurde.
En
jouant le sketch, les élèves sont forcément contraints de répondre
à tous les appels, plus ou moins consciemment. En revanche, ils
peuvent, plus ou moins consciemment, masquer et dissimuler leur je-
et
tu-messages
non-intentionnés. C'est au récepteur à son tour de les déchiffrer.
b)
L'appel
du
sketch :
A travers le sketch, les
élèves envoient aussi des appels de plusieurs types. Premièrement,
nous pouvons supposer qu'ils agissent tous dans
la conscience d'être
évalués et notés. Si chez
certains, nous
reconnaissons l'appel « Voyez, Monsieur, je fais bien
ce que vous demandez.
Donnez moi une bonne note alors ! », chez
d'autres, nous comprenons
« Voyez, Monsieur, je fais un peu ce que vous dites pour
répondre un minimum à la consigne mais cela ne m'intéresse pas
plus. Laissez moi tranquille ! ». Nous
identifions également
un troisième et un quatrième type d'appel qui coïncident
probablement soit avec le premier soit avec le deuxième et qui
s'adressent plutôt au camarades : « Voyez, les filles
/les gars, comme je joue bien. Reconnaissez le ! » ou
« Voyez, les filles /les gars, comme
je participe peu ! Je peux me le permettre. Reconnaissez moi ! »
Nous voyons à travers ces exemples que l'analyse en profondeur d'un
côté du carré de
communication peut
révéler des aspects des autres côtés et qu'il n'est pas toujours
possible ni nécessaire de les dissocier.
Un
appel plus subtil s'adressant à l'enseignant consisterait en « Voilà
ce que j'attends de vous. Soyez un peu plus stricte /un peu moins
stricte. » Il est intéressant de constater que des élèves
ayant du mal à respecter le cadre, cherchent
à incarner un enseignant
plutôt sévère, exprimant ainsi
leur demande d'être
rappelés
à l'ordre d'une façon plus claire et ferme dans
la réalité. Des élèves
plus matures et responsables cherchent
à incarner des
enseignants plus doux et indulgents. Dans tous les cas, la passation
des consignes dans le sketch se fait d'une manière sérieuse et sans
l'utilisation de l'humour.
En partie, cela est certainement dû à la difficulté de manier
la langue étrangère mais généralement, la simultanéité du
sérieux et de l'humour semble être un concept encore difficile à
cerner pour des élèves du niveau 5e.
Ceci montre que la
compréhension et la manipulation de l'humour et de ses limites
demandent
un temps d'apprentissage, de la pratique et une certaine maturité
d'esprit, comme l'indique Lethierry, « rire
et raison semblent donc en étroite collaboration. [...]
le rire semble ne pas être très éloigné d'une hexis
[habitus]
à
acquérir à force d'exercice : un état d'esprit critique à
conquérir par la pratique du rire » (Lethierry, 2001a, p.
145).
Conclusion
Dans
le cadre de cette recherche sur la façon de gérer une classe dans
le cadre d'une instruction obligatoire, nous avons réfléchi à quel
point l'humour et le rire en font partie et dans quelles conditions
l'enseignant s'en sert comme outil pour faire face à cette
problématique en pratique. Nous avons constaté que le fondement de
base sur lequel se construit le cadre de l'école moderne comporte
l'antithèse du loisir obligatoire qui ne prête à rire que
sous la condition d'une « anesthésie
momentanée du cœur » (Bergson,
1900, p.11), dans le sens neutre du terme, c'est à dire quand on
n'est pas touché ou quand on arrive à s'en détacher.
En
revenant à l'exemple de départ du
"cancre" de Pennac et
en passant à sa
suite,
« Pourquoi
le fait-il néanmoins exprès ? Pour s'attirer la
considération des autres cancres ? Parce que s'appliquer, ce
serait trahir ? Il joue volontairement les mauvais contre les
bons, les jeunes contre les vieux ? C'est sa façon à lui de se
socialiser ? » (Pennac 2007, p. 199-200)
nous
voyons l'hypothèse confirmée
que l'humour a
une fonction importante pour l'élève dans le cadre scolaire
et qu'il peut s'en servir pour se révolter contre la hiérarchie et
pour créer des liens socialement horizontaux1.
Grâce aux résultats du questionnaire évaluatif, qui ont
montré que l'utile, l'intéressant et l'amusant
peuvent être vécus simultanément, nous comprenons que
l'enseignant, tout comme l'élève, peut s'en servir dans le même
but : La déconstruction du sentiment inhibant de la contrainte
(à l'origine mise en place comme motivation extrinsèque) chez
l'élève pour créer une ambiance sereine et des liens relationnels
rassurants. Il resterait
néanmoins à
savoir si cela favorise uniquement la libération d'une
motivation intrinsèque déjà présente ou si l'humour permettrait
également d'augmenter celle-ci. Cela pourrait être éventuellement
élucidé par de futures recherches. Dans tous les cas, comme le
montrent les résultats concernant la difficulté (ou la facilité)
des activités proposées, l'humour n'est qu'un facteur parmi
d'autres d'un ensemble de mesures pour
installer l'élève dans « l'indicatif rigoureusement présent »
(Pennac, 2007, p. 70) pour le mettre au travail sereinement et
sérieusement.
Le
fait que chaque groupe se constitue d'autant de caractères
différents qu'il y a de personnes et que celles-ci perçoivent les
messages (humoristiques) différemment en fonction de leur
personnalité particulière et leurs oreilles respectives,
a été mis en évidence par
le questionnaire retour
où les mêmes événements marquants ont été identifiés comme
stressants par les uns et drôles par les autres.
Encore une fois, nous reconnaissons qu'une prise de distance est
favorable pour l'appréciation et l'utilisation de l'humour. Nous
n'avons cependant pas pu creuser la question du rapport
cause-conséquence entre ces deux phénomènes : Si la
prise de distance facilite l'humour, l'humour facilite aussi la prise
de distance. En tout cas, nous rejoignons encore une fois Lethierry
(2001a, p. 145) sur le fait que « rire
et raison [...] en étroite collaboration [sont] à acquérir à
force d'exercice ».
L'analyse
approfondie du sketch nous amène encore un pas plus loin et nous
confirme l'idée de Jankélévitch et sa distinction entre l'ironie
("oppositionnelle") et l'humour : Les deux peuvent
poursuivre les mêmes objectifs comme la prise de distance ou
1Comme
l'artiste révolutionnaire sous un régime totalitaire.
la
création de lien social mais, alors que l'ironiste le fait en
s'opposant à quelqu'un d'autre, l'humoriste le
fait en l'incluant et en s'incluant. La technique de l'antithèse
sert aux deux : Pour le premier
pour montrer la contradiction entre lui-même
et l'autre, entre ses
idées et celles de l'autre ou entres
les idées de son groupe et celles des autres, ce qui mettrait de la
distance entre lui-même et l'autre et créerait du lien entre
lui-même et les "siens".
Pour le dernier, elle sert à montrer la contradiction
interne entre ses
propres idées, c'est à dire entre les idées
de son groupe, qui est, à la plus grande échelle, celui de
l'humanité entière. Dans ce sens, l'humour peut alors être défini
comme une auto-dérision, une (auto-) ironie collective, et
celle-ci peut, malgré toute précaution de la part de l'émetteur,
ne pas être saisie à sa juste mesure par le récepteur pour être
comprise comme une ironie oppositionnelle du semi-habile.
Pour
de futures recherches, il serait intéressant d'analyser de plus près
des rapports paradoxaux (de genre cause-conséquence) entre l'humour
(aussi bien du côté émetteur que du côté récepteur) et des
facteurs psychiques tels que la contrainte extérieur, l'angoisse, la
fatigue, etc. La maîtrise de l'humour, est-elle un seulement un
indice pour une certaine maturité, une certaine sagesse ou est-elle
même un outil auto-éducatif pour y accéder ? Peut la prise de
distance par l'humour nous aider à surmonter des situations
difficiles ou peut le processus de surmonter situations difficiles
nous aider à prendre de la distance pour être plus joyeux ?
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES
Auger,
M. (2006).
Élèves
« difficile » profs en difficulté.
Lyon, France :
Chronique Sociale.
Bakhtine,
M. (trad. Robel, A.), (1982). L’œuvre
de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous
la Renaissance.
Paris, France : Gallimard.
Bandura,
A. (trad. Lecomte,
J.),
(2003).
Auto-efficacité :
Le sentiment d'efficacité personnelle.
Paris, France :
De
Boeck.
Bergson,
H. (1900). Le
Rire. Essaie sur la signification du comique.
Paris, France : Éditions Alcan (1924). Consulté
31
mai
2016
sur
http://classiques.uqac.ca/classiques/bergson_henri/le_rire/le_rire.html.
Blin,
J. (2004).
Classes
difficiles. Des outils pour prévenir et gérer les perturbations
scolaires.
Paris, France :
Delagrave.
Freinet,
C. (1964). Œuvre pédagogiques. Tome 2 : Les invariants
pédagogiques. Paris, France : Seuil (1994).
Freud,
S. (trad.
Bonaparte M.),
(1905). Le
mot d'esprit et sa relation à l'inconscient.
Paris, France : Gallimard (1930).
Consulté
le
31 mai 2016
sur
http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/le_mot_d_esprit/le_mot_d_esprit.html.
Lethierry,
H. (Ed.) (2015a).
Humour
et discipline(s). Mûrir de rire I.
Paris,
France : Publibook.
Lethierry,
H. (Ed.) (2015b).
L'humour
outil éducatif. Mûrir de rire II.
Paris,
France : Publibook.
Lethierry,
H. (Ed.) (2001a).
Rire
en toutes lettres.
Villeneuve d'Ascq, France : Presses universitaires du
septentrion.
Lethierry,
H. (2001b).
(Se)
former dans l'humour. Mûrir de rire.
Lyon, France : Chronique sociale.
Mathieu
A., & Mazurie, C. (2009). Pratiques Freinet au collège et au
lycée. Coopérer pour apprendre. N° 59. Nantes, France :
ICEM.
Migeotte,
L. (2007). L'économie des cités grecques. Paris, France :
Ellipses.
Pennac,
D. (2007). Chagrin d'école. Paris, France : Gallimard.
Prairat,
E. (1997). La sanction. Petites méditations à l'usage des
éducateurs. Paris, France : L'Harmattan.
Rothbard,
M. (1999). Education:
free and compulsary.
Auburn, USA : Mises Insititut. Consulté le
15 juin 2016
sur
https://mises.org/library/education-free-and-compulsory-0.
Soulé,
M.
(Ed.)
(1987). Bonjour
gaieté. La genèse du rire et la gaieté du
jeune enfant.
Paris, France :
ESF.
DICTIONNAIRE
Robert,
Paul (Ed.) (1994). Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française. Paris,
France : Dictionnaires Le Robert.
ARTICLES
Defrance,
B. (1997). L'humour dans la classe. Attention ! Dans H.
Lethierry (Ed.)
Savoir(s) en rire 1.
Un gai savoir
(vérité et sévérité)
(pp.
183-188). Paris, France
: De Boeck &
Larcier.
Grice,
P. (1975). "Logic and conversation". In Cole, P. ; Morgan,
J. Syntax
and semantics. 3: Speech acts.
(pp. 41–58)
New York: Academic Press.
Housset,
F.
(2015). Le philosophe a
mangé un clown. Dans
H. Lethierry (Ed.), Humour
et discipline(s).
Mûrir de rire I
(pp. 125-130).
Lyon, France :
Publibook.
Lethierry,
H. (1997). Le sujet de l'ironie. L'humour comme arme du maître. Dans
H. Lethierry (Ed.),
Savoir(s) en rire 3.
Rire à l'école ? (Expériences tout terrain)
(pp.
216-230). Paris, France :
De Boeck & Larcier.
Mortier,
L. (2015). L'humour « professionnel ». Dans H. Lethierry
(Ed.), L'humour
éducatif. Mûrir de rire II
(pp. 73-77). Lyon,
France : Publibook.
Marsault,
C., Cornus, S. (2016). De "rire de" à "rire avec",
L'humour comme stratégie pédagogique favorisant le climat de
sécurité. Dossier
EPS, 83
(Corps
et climat scolaire),
104-105.
Petit,
X. (2015). L'humour pour « gai-rire ». Dans H. Lethierry
(Ed.), L'humour
éducatif. Mûrir de rire II
(pp. 81-85). Lyon,
France : Publibook.
Soulé,
M. (1987). Caca-boudin ou la coprolalie ordinaire : la joie
assuré. Dans M. Soulé (Ed.),
Bonjour gaieté. La
genèse du rire et la gaieté du jeune enfant
(pp. 39-45). Paris,
France :
ESF.
MEMOIRES
Deschard,
C. (2014). L'humour.
Mémoire
pour l'obtention du diplôme de capacité d'orthophoniste, Université
de Nantes, France. Téléchargé
le
30.mai 2016 de
http://archive.bu.univ-nantes.fr/pollux/show.action?id=db6a730a-34e1-4ac0-b554-e2284c493913.
SITES
INTERNET
Beckert,
Michael (2006).
Une
première conception de la théorie des trois stades.
Consulté
le 03 juin 2016 sur
http://eimmitspeck.blogspot.fr/search/label/cr%C3%A9atif.
Moreau,
J. (2006). Humour
selon Bergson.
Consulté
le 02 juin 2016 sur
http://www.fabula.org/atelier.php?Humour_selon_Bergson.
Organisation
for Econcomic Co-operation and Development. (2013). Les
principaux résultats de l'enquête PISA 2012,
consulté
le 02 juin 2016 sur
https://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results-overview-FR.pdf.
Thoreau,
H. (1849). On
the Duty of Civil Disobedience.
Consulté le 12.06.2016 sur
http://www.gutenberg.org/files/71/71-h/71-h.htm.
Trésor
de la Langue française informatisé,
consulté le 04 juin
2016
sur
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv4/showps.exe?p=combi.htm;java=no.
Mots
clés : gestion de classe, humour, ironie, mise au travail,
plaisir, contrainte, scholé, ponos
C'est
important, l'école. Pour avoir un bon travail plus tard, il faut
être bon à l'école. Pour cela, il faut travailler dur. Puis, un
bon travail nous permet de vivre bien. De s'acheter une maison. De
profiter des vacances. D'assurer la retraite. Et de financer les
études de nos enfants. Mais pour tout cela, il faut réussir à
l'école. C'est important. C'est vrai.
Et
pourtant : Il y a de l'humour dans l'école moderne. Dans toutes
les écoles. Tous les jours. Malgré le danger omniprésent de
l'échec. D'où vient cet humour ? Et à quoi sert-il ?
Est-il même favorable pour les objectifs de l'école ? Ou
plutôt pour ceux de la scholé, ceux du loisir ?
« Le
rire n'est pas l'ennemi du sérieux mais de l'austérité. »
Hugues Lethierry
English
Key
words: class management, humor, irony, class work, pleasure,
obligation, scholé, ponos
School
is important. For getting a good job later, you have to be good at
school. Therefore, you have to work hard. Then, a good job allows you
to live well. To buy a house. To go on holidays. To save for your
rent. And to finance the studies of your children. But for all this,
you have to do well at school. This is important. This is true.
But
still: There is humor in school. In all the schools. Every day. In
spite of the ever present danger of failing. Where does this humor
come from? What is it good for? Is it even favorable for the aims of
school? Or rather for the aims of scholé, of leisure?
"Laughter
is not the enemy of the serious but of austerity." Hugues
Lethierry
Deutsch
Stichworte:
Klassenführung, Humor, Ironie, Arbeit, Freude, Pflicht, scholé,
ponos
Schule
ist wichtig. Damit man später eine gute Arbeit bekommt, muss man gut
in der Schule sein. Darum muss man viel lernen. Später kann man dank
der guten Arbeit gut leben. Sich ein Haus kaufen. Urlaub machen. Die
Rente sichern. Und die Bildung der Kinder finanzieren. Doch für all
das muss man gut in der Schule sein. Das ist wichtig. Das ist wahr.
Und
dennoch: Es gibt Humor in der Schule. An jeder Schule. Jeden Tag.
Trotz der allgegenwärtigen Gefahr des Scheiterns. Wo kommt dieser
Humor her? Wofür ist er gut? Ist er gar nützlich für die Ziele
Schule? Oder eher für die Ziele der scholé, der Freizeit?
„Das
Lachen ist nicht der Feind des Ernstes sondern der Steifheit.“
Hugues
Lethierry