Chères députées,
chers députés,
Je m’appelle Michael
Broermann-Beckert. Je suis allemand, je suis enseignant passionné à
Angers et je suis le père de trois enfants actuellement scolarisé à
l’école publique. J’aimerais vous expliquer pourquoi je défends
de toute mon âme la liberté de choisir le mode d’instruction pour
nos enfants.
J’ai grandi dans la
République Démocratique Allemande, un pays qui était loin d’être
aussi démocratique que son nom le revendiquait. J’avais 10 ans
quand le mur de Berlin et le rideau de fer sont tombés pour nous en
1989. J’étais jeune, certes, mais je me souviens très bien du
travail politique que l’état mettait en œuvre dans les écoles :
un discours propageant le socialisme et l’idéologie soviétique
dès le Kindergarten, communiqué par tous les média de l’époque
et imposé par des structures de partis et d’organisations
ressemblant beaucoup à ceux du 3e Reich. Moi-même par
exemple, j’étais « président du conseil de classe des
pionniers socialistes » à l’âge de 7 ans, puis «
rédacteur du journal mural » ou encore « agitateur »
plus tard.
Peut-être que cela
vous paraît déplacé de parler de l’école de ces anciennes
dictatures allemandes dans le contexte de voter sur l’article 21 de
la loi visant à « renforcer les valeurs républicaines ».
Et pourtant, dans le discours en faveur de cet article, on fait
aussi référence à l’Allemagne, ce pays qui sert souvent
d’exemple quand cela arrange, surtout en matières de pédagogie et
d’éducation. A cette Allemagne où l’école est obligatoire.
Cette Allemagne où l’institution de l’état a enlevé de force
la mission de l’instruction (et inévitablement une partie de
l’éducation) des parents, de la famille.
Je ne sais pas si vous
en aviez conscience au départ mais dans le doute, je préfère vous
le redire : La législation actuelle concernant l’obligation
scolaire en Allemagne date de 1938 et a été mise en place par le
parti national-socialiste d’Adolf Hitler pour des raisons que nous
pouvons facilement concevoir : se porter garant que tous les
allemands seraient mis dans le bon chemin dès le plus jeune âge.
Personnellement, j’ai
honte de cette tache national-socialiste qui persiste dans notre
culture politique allemande et qui est amplement contestée par mes
compatriotes pédagogues, psychologues, philosophes et
neuroscientifiques. Alors qu’en Allemagne, on cherche et on trouve
des solutions pour enfin rendre la liberté d’apprendre à l’enfant
à sa façon, on s’acharne en France de revenir 80 ans en arrière.
L’Éducation
Nationale va mal. Je le sais car j’en faisais partie. Tous ceux qui
en font partie le savent. J’ai passé le CAPES d’anglais en
France et j’ai fait mon Master d’enseignement à l’École
Supérieure du Professorat et de l’Éducation à Angers à l’âge
de 35 ans. Je dois avouer que je n’attendais pas beaucoup de ces 2
années de formation française, ayant étudié passionnément et
longuement la pédagogie, la psychologie, la sociologie et la
didactique en Allemagne, aussi bien en théorie qu’en pratique.
Mais je suis content de pouvoir vous dire que j’étais vraiment
positivement surpris par l’esprit qui règne dans les centres de
formation de professeurs en France et par le travail qui est fait par
les formateurs et les formatrices. Ils sont à la pointe des
recherches pédagogiques et neuro-scientifiques et savent donc très
bien comment on devrait réformer l’école pour l’améliorer. Et
la plupart des professeurs dans les écoles le savent également.
Des réformes avec de
bonnes intentions sont mises en marche, c’est louable. Mais, malgré
toutes les bonnes intentions, on ne fera pas de merveilles avec 30
élèves entre quatre murs. Arrêtez de vous faire des illusions !
Il y a des professeurs qui sont des héros. Mais il ne sont pas des
magiciens.
Mais malgré tout :
Merci à la République et à l’institution de l’Éducation
Nationale de nous offrir ce service d’instruire nos enfants
gratuitement. Cela devrait être un privilège de pouvoir en
profiter. En revanche, en le rendant obligatoire, le privilège perd
sa qualité constitutionnelle et devient une contrainte.
Imaginez-vous que l’on
vous offre votre plat préféré, gratuitement, servi avec amour et
bienveillance. Quelle gratitude ! Mais alors, imaginez-vous
maintenant que l’on vous impose de manger ce même plat, tous les
jours, toute l’année, sans tenir compte de vos goûts et vos
humeurs qui changent. Tôt ou tard, ce plat tant aimé auparavant
finirait par vous dégoûter. Quel dommage pour ce plat si délicieux
que représente l’instruction et dont l’enfant se délecte tant
naturellement s’il est libre de s’y donner quand il le souhaite.
En plus, tout le monde qui a été scolarisé soi-même, va l’avouer
sans hésiter : Le plat que propose l’école publique
ressemble plus à celui de sa cantine qu’à celui de grand-mère ou
du restaurant étoilé. A défaut de réussir de l’améliorer
suffisamment pour attirer plus de gourmands, on voudrait rendre
obligatoire sa consommation pour ensuite pouvoir se venter de son
succès...
Comme déjà évoqué :
Nos enfants (8, 10 et 12 ans), leur mère et moi-même ont choisi à
la rentrée 2020 qu’ils aillent à l’école cette année pour
vivre l’expérience. Après 3 ans d’absence (apprentissage libre
à la maison et dans le monde entier), ils en étaient enthousiastes
et malgré des déceptions, ils sont capables d’assumer leur choix
et d’apprécier les avantages que l’école peut leur offrir. Ce
libre choix n’aurait malheureusement pas été possible si l’école
avait déjà été obligatoire et donc, l’expérience actuellement
vécue serait encore beaucoup moins gaie et légère.
Un dernier exemple :
Quand notre aîné avait 3 ans, il était pour moi (en tant que
pédagogue allemand convaincu et libertaire que j’étais) hors
question que je lui impose ce cadre stricte, ambitieux et
contraignant que représente pour moi une école maternelle
française. Nous avons eu alors « la chance » d’avoir
trouvé une école hors contrat de type Montessori qui venait
d’ouvrir à l’époque. Nous étions ravis et enthousiastes. Mais
alors, il se trouvait que l’expérience s’est très mal passée
au niveau interpersonnel, au point que la direction de l’école
nous a annoncé lors des premières vacances de l’année qu’ils
ne seraient pas en capacité de continuer le travail avec notre
enfant et qu’ils voudraient arrêter le contrat. En état de choque
et de désespoir, nous ne voyions pas d’autres possibilités que de
le scolariser dans l’école publique du quartier et je suis content
de pouvoir vous assurer que nous étions extrêmement reconnaissants
pour l’accueil et le cadre que nous ont offert la directrice et la
professeure à ce moment là. Cette expérience m’a permis de
prendre du recul par rapport à cette institution de l’Éducation
Nationale et toutes les personnes qui y œuvrent quotidiennement dans
l’objectif d’offrir le meilleur à nos enfants. Ils méritent
notre respect et notre hommage.
Sans la liberté de
prendre une autre route à ce moment-là, je n’aurais pas pu me
rendre compte des inconvénients d’un choix alternatif et je
n’aurais donc pas été en capacité d’apprécier les avantages
et les mérites du système publique. On aurait fait de moi un
opposant encore plus buté et qui sait à quoi m’aurait conduit la
frustration de la contrainte intransigeante. Éventuellement à
quitter ce beau pays tant aimé, je crois.
Soyez-en fiers de la
France, avec ses valeurs républicaines Liberté – Égalité
(et non pas « uniformité » !)– Fraternité (incluant
nos chères sœurs !) ! Soyez-en fiers, de l’Éducation
Nationale (malgré ses maintes défauts) ! Et soyez fiers de nos
professeurs ! Ne les dégradez pas en nous les imposants. Ils
valent plus que cela.